C-600/23
Résumé
En bref
La Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre), dans son arrêt du 1er août 2025, considère que sur le fondement de l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, du TUE, lu en combinaison avec l'article 267 TFUE et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'autorité de la chose jugée ou la force probante ne peuvent être conférées dans un État membre à une sentence arbitrale du Tribunal arbitral du sport (TAS) relative à l'exercice d'un sport en tant qu'activité économique, si sa conformité à l'ordre public de l'Union n'a pas été contrôlée de manière effective par une juridiction de cet État habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel. La Cour écarte donc toute reconnaissance automatique de l'autorité de la chose jugée à de telles sentences arbitrales, en vue de garantir la protection juridictionnelle effective des droits issus du droit de l'Union.
En détail
Parties et contexte de l'affaire
Le litige oppose le Royal Football Club Seraing SA à la Fédération internationale de football association (FIFA), à l'UEFA, et à l'Union royale belge des sociétés de football association (URBSFA), avec la participation de Doyen Sports Investment Ltd. Au cœur du litige : l'application de sanctions par les instances sportives sur le RFC Seraing, en lien avec des contrats de third-party ownership (propriété des droits économiques des joueurs par des tiers), prohibés par les articles 18bis et 18ter du RSTJ (Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs) de la FIFA.
Question(s) juridique(s) principale(s)
La question préjudicielle posée à la Cour visait à déterminer si l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, du TUE, lu avec l'article 267 TFUE et l'article 47 de la Charte, s'oppose à ce que le droit national confère autorité de chose jugée ou force probante à une sentence arbitrale du TAS — lorsqu'aucune juridiction d'un État membre, habilitée à saisir la CJUE, n'a pu en contrôler la conformité au droit de l'Union.
Exposé du litige, faits et prétentions
Le RFC Seraing avait conclu avec Doyen Sports Investment Ltd deux contrats de cession de droits économiques de joueurs (30 janvier 2015 et 7 juillet 2015), portant sur des parts de 30% et 25% des droits économiques de joueurs spécifiques. Ces contrats tombaient sous le coup de l'interdiction édictée par les articles 18bis et 18ter du RSTJ adoptés par la FIFA en décembre 2014, interdisant respectivement l'influence de tiers sur les clubs et la propriété des droits économiques par des tiers.
Après une procédure disciplinaire menée par la FIFA puis par le TAS (sentence du 9 mars 2017 confirmant les sanctions), et un recours rejeté par le Tribunal fédéral suisse (arrêt du 20 février 2018), le RFC Seraing a saisi les juridictions belges pour contester la conformité de ces règlements au droit de l'Union, notamment aux articles 45, 56, 63, 101 et 102 TFUE. Les juridictions belges lui ayant opposé l'autorité de la chose jugée résultant de la sentence du TAS, d'abord à l'égard des parties, puis comme présomption à l'égard des tiers, la Cour de cassation belge a sollicité l'interprétation du droit de l'Union.
Plan et motivations de la décision
1. Rappel du principe de protection juridictionnelle effective
Sur le fondement de l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, du TUE et de l'article 47 de la Charte, la Cour rappelle que le droit à un recours effectif s'impose dans tous les domaines couverts par le droit de l'Union. Cette protection doit permettre aux particuliers d'obtenir un contrôle effectif sur toute mesure susceptible d'affecter des droits issus du droit de l'Union. La Cour souligne que l'Union est une Union de droit et que ce principe revêt une importance cardinale pour la protection de l'ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union.
La Cour précise que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l'article 267 TFUE constitue la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités et une composante essentielle pour assurer la protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent du droit de l'Union.
2. Acceptation du recours à l'arbitrage sous conditions strictes
La Cour distingue entre arbitrage volontaire et arbitrage imposé. Elle rappelle que l'ordre juridique instauré par les traités ne s'oppose pas, par principe, à ce que des particuliers soumettent leurs litiges à un mécanisme d'arbitrage, à la différence des accords entre États membres qui instituent des mécanismes d'arbitrage obligatoires (jurisprudence Achmea).
Cependant, lorsque l'arbitrage découle d'une réglementation unilatérale d'une fédération internationale — créant une situation de contrainte pour les acteurs économiques —, l'accès effectif à un contrôle juridictionnel des sentences arbitrales au regard de l'ordre public de l'Union devient une exigence fondamentale. La Cour note que compte tenu des statuts et prérogatives des associations sportives telles que la FIFA, le recours à de tels mécanismes d'arbitrage doit être considéré comme étant unilatéralement imposé aux particuliers.
3. Exigences de contrôle juridictionnel effectif
La Cour établit quatre exigences principales :
Première exigence : Il doit exister une possibilité pour les particuliers d'obtenir à titre incident, à leur demande ou d'office, de la part de toute juridiction d'un État membre susceptible de connaître d'une sentence TAS, un contrôle juridictionnel effectif portant sur la compatibilité avec l'ordre public de l'Union.
Deuxième exigence : Les juridictions nationales doivent pouvoir contrôler l'interprétation qui a été faite des principes du droit de l'Union, les conséquences juridiques attachées à cette interprétation et la qualification juridique donnée aux faits.
Troisième exigence : Ces juridictions ne sauraient se limiter à constater une incompatibilité, mais doivent pouvoir tirer toutes les conséquences juridiques qui s'imposent en cas de constat d'incompatibilité.
Quatrième exigence : Les particuliers doivent avoir la possibilité de demander des mesures provisoires dans l'attente de la décision sur le fond.
4. Incompatibilité du système reconnu en Belgique avec le droit de l'Union
Sur le fondement de l'article 19, paragraphe 1, du TUE et de l'article 267 TFUE, la Cour juge que ni l'autorité de la chose jugée ni la force probante ne peuvent être conférées à une sentence arbitrale issue du TAS, tant que sa conformité aux principes fondamentaux du droit de l'Union (libertés de circulation, règles de concurrence) n'a pas été contrôlée par une juridiction nationale d'un État membre, habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel.
La Cour précise que l'absence d'un tel contrôle prive les parties (et les tiers concernés) de la protection juridictionnelle effective requise par le droit de l'Union. Il ne suffit pas qu'une présomption réfragable existe à l'égard des tiers : c'est l'attribution même de ces effets à la sentence arbitrale, sans contrôle effectif préalable au regard de l'ordre public de l'Union, qui est contraire à l'exigence de garantie des droits fondamentaux.
5. Effet direct et obligation d'écartement
La Cour rappelle que l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l'article 47 de la Charte sont d'effet direct. Par conséquent, la juridiction nationale compétente doit, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme des dispositions nationales, les écarter de sa propre autorité lorsqu'elles forment obstacle à la pleine efficacité de ces dispositions.
Extrait de la décision :
"Il s'ensuit que, dans le cas où les dispositions nationales qui sont applicables à un litige donné forment éventuellement obstacle à la pleine efficacité de l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la juridiction nationale compétente doit, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme de ces dispositions nationales, les écarter de sa propre autorité."
Points de droit importants et répercussions
- Primauté du contrôle juridictionnel effectif : L'autorité de chose jugée de sentences arbitrales étrangères touchant à des matières relevant du droit de l'Union ne peut être automatiquement reconnue sans contrôle préalable.
- Ordre public de l'Union : Les articles 45, 56, 63 TFUE (libertés de circulation) et les articles 101 et 102 TFUE (règles de concurrence) font partie de l'ordre public de l'Union et sont d'effet direct.
- Arbitrage imposé dans le sport : La jurisprudence reconnaît le caractère particulier de l'arbitrage sportif, imposé unilatéralement par les fédérations, nécessitant des garanties renforcées de protection juridictionnelle.
- Effet direct et primauté : Les articles 19 TUE, 267 TFUE et 47 de la Charte sont d'effet direct et obligent les juridictions nationales à écarter toute disposition nationale contraire à l'effectivité du contrôle juridictionnel.
- Impact dépassant le football : Cette jurisprudence s'étend à l'ensemble des litiges économiques liés à l'activité sportive dans l'Union, soumis à un arbitrage international non contrôlé par une juridiction nationale habilitée à saisir la CJUE.
- Sécurité juridique accrue : Les sentences arbitrales rendues à l'étranger au profit d'organisations sportives ne seront opposables que si un recours juridictionnel effectif est possible dans l'État membre concerné.
Mots clés
protection juridictionnelle effective, autorité de la chose jugée, arbitrage imposé, Tribunal arbitral du sport (TAS), ordre public de l'Union, article 19 TUE, article 267 TFUE, article 47 Charte, contrôle juridictionnel effectif, effet direct