C‑474/24
Résumé
En bref
Juridiction : Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) – Conclusions de l'Avocat général M. Dean Spielmann
L'Avocat général propose à la Cour de juger que le RGPD s'applique à la publication des sanctions antidopage malgré le caractère non économique de l'activité sportive. Sur le fondement des articles 5, 6, 9 et 10 du RGPD, il constate que la publication nominative en ligne des sportifs sanctionnés, de la durée et des motifs de leur suspension, constitue un traitement de données sensibles lorsque la substance interdite est mentionnée (données de santé). Cette publication peut également relever de l'article 10 du RGPD (condamnations pénales) pour les sanctions d'une sévérité équivalant à une sanction pénale. L'Avocat général estime que la proportionnalité de la publication doit être vérifiée au cas par cas, la mise en ligne illimitée apparaissant excessive au regard des objectifs de dissuasion et de prévention poursuivis.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
Parties impliquées :
- Requérants : AR, YT, DI et RN (sportifs autrichiens sanctionnés pour violations des règles antidopage)
- Autorités autrichiennes antidopage : NADA (Agence nationale autrichienne de lutte contre le dopage) et ÖADR (Commission juridique antidopage autrichienne)
- Autorité de contrôle : Österreichische Datenschutzbehörde (autorité autrichienne de protection des données)
Problèmes juridiques principaux :
- Applicabilité du RGPD aux traitements de données dans le cadre de la lutte antidopage
- Qualification des données publiées comme données de santé (article 9 du RGPD) et/ou données relatives aux condamnations pénales (article 10 du RGPD)
- Proportionnalité de la publication nominative en ligne des sanctions antidopage
- Recevabilité d'une réclamation préventive auprès de l'autorité de contrôle
Question juridique principale :
🎯 Le RGPD s'oppose-t-il à une obligation légale imposant aux organismes nationaux antidopage de publier, de manière systématique et automatique sur Internet, les noms des sportifs sanctionnés, la durée de leur suspension et les motifs de celle-ci, sans mise en balance préalable des intérêts au cas par cas ?
Exposé du litige :
Les requérants ont fait l'objet de décisions de suspension (pour une période déterminée ou à vie) prononcées par l'ÖADR ou l'USK (Commission indépendante d'arbitrage autrichienne). Ces suspensions ont été publiées en ligne par NADA sous forme de liste comprenant le prénom, le nom, le sport pratiqué, la violation constatée, la sanction et sa durée. L'ÖADR a également publié ces informations avec mention de la substance interdite détectée.
Les requérants ont demandé le retrait de leurs données puis saisi l'autorité autrichienne de protection des données d'une réclamation fondée sur l'article 77 du RGPD. Cette réclamation a été rejetée au motif que la publication était fondée sur une obligation légale prévue par l'ADBG (loi fédérale autrichienne relative à l'antidopage 2021). Les requérants ont alors introduit un recours devant le tribunal administratif fédéral autrichien (juridiction de renvoi).
2. ANALYSE DES MOTIFS
L'Avocat général structure son analyse autour de sept questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, qu'il examine successivement après avoir rappelé les principes directeurs applicables.
A. Sur l'applicabilité du RGPD à l'activité antidopage (Question 1)
🔍 Méthode d'analyse retenue :
L'Avocat général rappelle que l'exception prévue à l'article 2, paragraphe 2, sous a) du RGPD, qui exclut de son champ d'application les traitements effectués dans le cadre d'une activité "qui ne relève pas du champ d'application du droit de l'Union", doit recevoir une interprétation stricte. Cette exception vise exclusivement les activités relatives à la sécurité nationale ou pouvant être rangées dans cette catégorie, c'est-à-dire celles ayant pour objet de protéger les fonctions essentielles de l'État et les intérêts fondamentaux de la société.
"L'exception prévue à l'article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, en tant qu'elle rend inapplicable le régime de protection des données à caractère personnel prévu par le RGPD et s'écarte ainsi de son objectif de protection, doit recevoir une interprétation stricte" (Point 38 des conclusions)
➡️ Conséquence juridique : Cette approche restrictive implique que seules les activités directement liées à la préservation de la sécurité nationale peuvent échapper au RGPD, ce qui n'est manifestement pas le cas de la lutte antidopage.
❌ Rejet de l'argument fondé sur la compétence des États membres :
NADA soutient que la politique antidopage relève de la compétence exclusive des États membres et n'entre donc pas dans le champ d'application du droit de l'Union. L'Avocat général écarte cet argument en distinguant clairement la logique de compétence de la logique matérielle de définition du champ d'application du RGPD.
Sur le fondement de l'article 16, paragraphe 2, TFUE, le législateur européen dispose d'une compétence législative propre en matière de protection des données à caractère personnel. Cette compétence s'exerce de manière transversale et n'est pas limitée aux seuls domaines où l'Union dispose d'une compétence normative principale. L'Avocat général souligne que la notion de "champ d'application du droit de l'Union" au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous a) du RGPD dépasse les hypothèses de "mise en œuvre du droit de l'Union" au sens de l'article 51 de la Charte.
"Quand bien même l'activité 'antidopage' n'est pas réglementée par un acte du droit de l'Union et relève des États membres, il ne saurait en être déduit que le traitement effectué dans le cadre de cette activité antidopage ne relève pas du 'champ d'application du droit de l'Union', au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, tel qu'interprété par la Cour dans le contexte spécifique du RGPD" (Point 51 des conclusions)
➡️ Portée de ce raisonnement : L'Avocat général affirme que le RGPD s'applique indépendamment de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres, dès lors que le traitement n'entre pas dans les exceptions strictement définies.
❌ Rejet de l'argument fondé sur l'absence de caractère économique :
NADA invoque également l'absence de dimension économique de la réglementation antidopage pour exclure l'application du RGPD. Selon elle, les règles antidopage sont fondées sur des considérations "purement sportives" et ne relèvent donc pas du champ d'application du droit de l'Union.
L'Avocat général rejette cet argument en s'appuyant sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du RGPD :
1️⃣ Analyse textuelle : L'article 2, paragraphe 2, sous a) du RGPD se réfère à la notion d'"activité" et non d'"activité économique".
2️⃣ Analyse contextuelle : Le considérant 112 du RGPD mentionne expressément que les dérogations en matière de transfert de données peuvent s'appliquer "en vue de réduire et/ou d'éliminer le dopage dans le sport", ce qui démontre que le législateur n'a pas considéré que la lutte antidopage échappait au RGPD.
3️⃣ Analyse téléologique : Un critère fondé sur le caractère économique ou non de l'activité aboutirait à des résultats incertains et aléatoires, en violation des objectifs du RGPD qui visent à assurer une application cohérente et homogène des règles de protection dans l'ensemble de l'Union.
✅ Conclusion sur l'applicabilité du RGPD :
L'Avocat général conclut que les traitements de données consistant en la publication des noms des sportifs concernés, de la discipline sportive pratiquée, de la violation des règles antidopage commise, de la sanction prononcée ainsi que du début et de la fin de cette sanction relèvent du champ d'application du RGPD.
B. Sur la qualification de "données concernant la santé" (Question 2)
🔍 Enjeu de la qualification :
L'article 9, paragraphe 1 du RGPD interdit le traitement des données concernant la santé, sauf application d'une des dérogations prévues à son paragraphe 2. Cette qualification est déterminante car elle conditionne l'application d'un régime de protection renforcée.
Sur le fondement de l'article 4, point 15 du RGPD, lu conjointement avec le considérant 35 de ce règlement, l'Avocat général rappelle que la notion de "données concernant la santé" doit être interprétée de manière large et comprend l'ensemble des données susceptibles de dévoiler, même indirectement, des informations sur l'état de santé passé, présent ou futur de la personne concernée.
🔎 Méthode d'analyse des données en cause :
L'Avocat général distingue deux catégories de données de santé :
1️⃣ Données de santé "par nature" : Générées dans un contexte médical ou quasi-médical, ces données visent une information concernant une maladie, un handicap, un risque de maladie, des antécédents médicaux ou un traitement clinique.
2️⃣ Données révélant des informations de santé : Hors contexte médical, ces données peuvent néanmoins révéler, même indirectement, des informations sur l'état de santé si un lien peut être établi par rapprochement ou déduction.
✅ Application aux infractions de catégories 2.1 et 2.2 :
L'Avocat général estime que seules les infractions de catégories 2.1 et 2.2 (présence d'une substance interdite dans l'organisme et usage d'une substance ou méthode interdite) doivent être examinées au regard de la notion de "données de santé". Les autres infractions (manquements aux obligations de localisation, trafic, etc.) ne révèlent pas, en tant que telles, d'informations sur l'état de santé.
Sur le fondement du considérant 35 du RGPD, qui mentionne expressément "des informations obtenues lors du test ou de l'examen d'une partie du corps ou d'une substance corporelle", l'Avocat général souligne que le constat des infractions de catégories 2.1 et 2.2 implique des tests antidopage et l'analyse d'échantillons effectués par des professionnels accrédités dans un contexte quasi-médical.
⚠️ Élément déterminant : La mention du nom de la substance interdite (ou de sa catégorie) publiée par l'ÖADR est de nature à renseigner, quoique de manière indirecte, sur l'état de santé de la personne concernée, notamment en révélant des risques pour sa santé future.
"La mention du nom de la substance en cause (ou sa catégorie) donne des indications qui, même peu détaillées, sont de nature à renseigner, quoique de manière indirecte, sur l'état de santé de la personne concernée" (Point 80 des conclusions)
➡️ Portée juridique : Cette mention constitue, dans certaines circonstances qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, une "donnée concernant la santé" au sens de l'article 4, point 15 et de l'article 9, paragraphe 1 du RGPD.
❌ Absence de qualification en l'absence de mention de la substance :
En revanche, si la substance interdite n'est pas mentionnée, le lien entre le constat d'une infraction et les informations sur l'état de santé serait trop indirect pour que l'information divulguée puisse entrer dans la catégorie de "données concernant la santé".
C. Sur la nature pénale des condamnations et infractions antidopage (Question 5)
🔍 Enjeu de la qualification pénale :
L'article 10 du RGPD soumet le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions à un contrôle renforcé. Un tel traitement ne peut avoir lieu que "sous le contrôle de l'autorité publique" ou si la législation autorisant ce traitement prévoit des "garanties appropriées".
Sur le fondement de la jurisprudence constante de la Cour, l'Avocat général rappelle que la notion d'"infraction pénale" requiert une interprétation autonome et uniforme dans toute l'Union, sans que soit déterminante la qualification donnée par l'État membre concerné. Cette interprétation s'effectue au regard des trois critères Engel :
1️⃣ Qualification juridique de l'infraction en droit interne 2️⃣ Nature de l'infraction 3️⃣ Degré de sévérité de la sanction
📋 Premier critère : Qualification juridique en droit interne
❌ En droit autrichien, l'ÖADR mène des procédures disciplinaires pour les fédérations sportives compétentes. Les infractions antidopage constituent des violations des règles des fédérations sportives que les athlètes s'engagent à respecter, et non des violations de la loi.
➡️ Ce premier critère ne va pas dans le sens d'une qualification "pénale", mais sa portée doit être relativisée : même pour des infractions non qualifiées de "pénales" par le droit national, un tel caractère peut néanmoins découler de la nature de l'infraction et du degré de sévérité des sanctions.
⚖️ Deuxième critère : Nature de l'infraction
Sur le fondement de la jurisprudence de la Cour, ce critère commande de vérifier si la sanction poursuit une finalité répressive, sans que la circonstance qu'elle poursuive également une finalité préventive soit de nature à lui ôter sa qualification de "sanction pénale".
L'Avocat général distingue deux catégories de sanctions antidopage :
1️⃣ Le retrait des titres et récompenses, qui vise essentiellement à rétablir la loyauté des compétitions en récupérant les gains pour les réaffecter aux sportifs qui y auraient eu droit. Cette sanction répond à la violation de la "règle du jeu" et peut être considérée comme visant principalement à réparer le préjudice.
2️⃣ La suspension de la participation aux compétitions, qui peut aller de quelques mois à l'interdiction à vie. Cette suspension est destinée à sanctionner le sportif ayant enfreint les règles antidopage et à dissuader les autres sportifs d'en faire autant.
"La finalité première de ces sanctions antidopage, à tout le moins de la suspension des compétitions, n'apparaît donc pas comme étant de réparer le préjudice subi par des tiers du fait de l'infraction, mais bien de sanctionner le comportement du sportif concerné, ce qui va dans le sens d'une condamnation pénale" (Point 100 des conclusions)
⚠️ Réserves exprimées : L'Avocat général identifie deux hésitations potentielles :
- Les procédures disciplinaires ont été appréhendées sous le volet civil de l'article 6 de la CEDH par la Cour de Strasbourg, notamment pour les contestations relatives au retrait du droit d'exercer une profession.
- Les infractions antidopage ne visent qu'un groupe particulier de personnes (les sportifs), à l'instar des sanctions disciplinaires professionnelles.
➡️ Néanmoins, ces réserves ne suffisent pas à écarter la qualification pénale. L'Avocat général souligne qu'une approche purement formelle serait en contradiction avec l'objectif de protection renforcée de l'article 10 du RGPD.
🎓 Troisième critère : Degré de sévérité de la sanction
Ce critère doit être apprécié en fonction de la peine maximale encourue. Or, en l'espèce, il peut s'agir d'une suspension de plusieurs années ou d'une interdiction à vie de toutes les compétitions, ce qui peut aboutir à une interdiction définitive d'exercer la profession de sportif.
1️⃣ Certes, il ne s'agit pas d'une peine privative de liberté, mais "la faiblesse de l'enjeu ne saurait ôter à une infraction son caractère pénal intrinsèque".
2️⃣ À la suspension s'ajoute l'impossibilité en pratique de retrouver un emploi dans le domaine sportif, compte tenu de l'interdiction d'association avec une personne suspendue.
3️⃣ Aux conséquences économiques et financières s'ajoutent une désapprobation de la société et une stigmatisation tant dans la sphère publique que privée.
"Il en résulte, à mon avis, qu'une telle sanction revêt une gravité susceptible d'avoir un effet équivalant à une condamnation pénale au sens de l'article 10 du RGPD, ce qu'il incombe toutefois à la juridiction de renvoi d'apprécier dans chaque cas particulier" (Point 122 des conclusions)
✅ Conclusion sur la qualification pénale :
L'Avocat général estime que les infractions et condamnations antidopage devraient être considérées comme relevant du domaine disciplinaire, sauf dans les cas où la condamnation est d'une sévérité telle qu'elle ressortit à la matière pénale. Une suspension à vie de participer à toute compétition pourrait constituer une sanction ayant un effet équivalant à une sanction pénale, de nature à déclencher l'applicabilité de l'article 10 du RGPD.
D. Sur le contrôle juridictionnel des autorités publiques (Question 6)
L'Avocat général rappelle que le RGPD ne contient pas de définition de la notion d'"autorité publique" au sens de l'article 10 de ce règlement. Toutefois, sur le fondement de l'article 79, paragraphe 1 du RGPD, il estime qu'un contrôle juridictionnel des activités ou décisions de cette autorité publique doit pouvoir être exercé.
➡️ Cette interprétation est conforme à l'objectif de protection accrue visé par l'article 10 du RGPD et au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par la Charte.
E. Sur la proportionnalité de la publication (Questions 3 et 4)
⚖️ Observations liminaires et rappel des principes :
Sur le fondement de l'article 52, paragraphe 1 de la Charte, les limitations aux droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel doivent être prévues par la loi et respecter le principe de proportionnalité.
En l'espèce, la publication des données est effectuée sur le fondement d'une obligation légale imposée par l'ADBG. Ce traitement relève donc de l'hypothèse visée à l'article 6, paragraphe 1, sous c) du RGPD (obligation légale) et éventuellement de l'article 6, paragraphe 1, sous e) (mission d'intérêt public).
L'article 6, paragraphe 3 du RGPD précise que la base juridique de ce traitement doit répondre à un objectif d'intérêt public et être proportionnée à l'objectif légitime poursuivi. De même, l'article 5, paragraphe 1, sous c) du RGPD consacre le principe de "minimisation des données", expression du principe de proportionnalité.
🎯 Objectifs légitimes identifiés :
Dans le cadre de la lutte contre le dopage, la divulgation au grand public poursuit deux objectifs légitimes :
1️⃣ Dissuader les sportifs de commettre des violations des règles antidopage et ainsi prévenir le dopage dans le sport
2️⃣ Éviter le contournement des règles antidopage en informant toutes les personnes susceptibles de parrainer ou d'engager le sportif qu'il est suspendu
🔍 Premier volet du contrôle de proportionnalité : Aptitude
✅ La publication est apte à atteindre les objectifs visés :
- Le fait de publier le nom du sportif sanctionné informe le grand public que le dopage est sanctionné, ce qui est de nature à dissuader et à prévenir.
- La publication permet d'informer les personnes qui pourraient souhaiter employer le sportif concerné qu'il est suspendu et n'est pas censé exercer de fonctions sportives.
❌ En revanche, la mention de la substance interdite ne permet pas d'atteindre les objectifs visés, car ni l'objectif de dissuasion ni celui d'éviter le contournement ne nécessitent de détailler à ce point l'infraction constatée.
🔍 Deuxième volet du contrôle de proportionnalité : Nécessité
Sur le fondement du considérant 39 du RGPD, vérifier la nécessité du traitement implique de vérifier s'il n'existe pas des mesures alternatives moins attentatoires aux droits mais tout aussi efficaces.
Concernant l'objectif de dissuasion :
⚠️ La divulgation au public du nom des sportifs ne semble pas absolument nécessaire dans tous les cas. Si la dissuasion est d'autant plus efficace pour les sportifs célèbres, pour les sportifs professionnels ne relevant pas des exceptions prévues par l'ADBG, la législation nationale prévoit une divulgation nominative automatique, dont la portée est rendue illimitée par la publication en ligne, sans égard aux circonstances particulières (notoriété, niveau de compétition, récidive, caractère intentionnel).
"Par leur caractère général, ces dispositions nationales sont susceptibles d'aller au-delà de ce qu'exige la prévention du dopage par la dissuasion" (Point 152 des conclusions)
Concernant l'objectif d'éviter le contournement :
✅ Cet objectif implique de savoir de quel sportif il s'agit, ce qui rend nécessaire la divulgation du nom.
❌ Cependant, la portée illimitée de la publication liée à la mise en ligne sur Internet paraît aller au-delà de ce qui est nécessaire. Cet objectif semble essentiellement s'appliquer dans le monde sportif et s'adresser aux personnes chargées de faire respecter les sanctions. Une diffusion plus restreinte de l'identité du sportif semblerait atteindre l'objectif de façon efficace et moins attentatoire.
"Une publication nominative, mais limitée aux organismes pertinents et fédérations sportives, accompagnée par exemple d'une publication sur Internet pseudonymisée, permettrait d'atteindre les deux objectifs visés de façon moins attentatoire à la protection des données personnelles et de façon plus conforme au principe de minimisation des données" (Point 158 des conclusions)
➡️ L'Avocat général exprime de sérieux doutes sur la nécessité du traitement en cause au regard des objectifs poursuivis.
🔍 Troisième volet du contrôle de proportionnalité : Mise en balance des intérêts
Pour apprécier la proportionnalité "stricto sensu", il y a lieu de procéder à une mise en balance entre, d'une part, l'objectif d'intérêt général visé et, d'autre part, les droits de la personne dont les données sont divulguées.
⚠️ Le traitement en cause, qui inclut la publication en ligne de l'identité du sportif, constitue une ingérence importante dans les droits fondamentaux et est de nature à provoquer la désapprobation de la société et à entraîner la stigmatisation de la personne concernée (effet de "pilori électronique").
L'Avocat général relève que la publication prévue par l'ADBG pour les sportifs professionnels est :
- Nominative
- Illimitée dans sa portée (diffusée par Internet au grand public)
- Illimitée parfois dans sa durée (suspensions à vie)
- Systématique et automatique (aucune appréciation individuelle)
"J'ai tendance à penser que la combinaison de ces différents éléments (caractère nominatif, illimité, systématique et automatique de la publication) est susceptible d'aboutir dans certaines circonstances à une ingérence dans les droits à la protection des données à caractère personnel des personnes en cause telle qu'elle ne satisfait pas aux exigences d'une pondération équilibrée entre les différents intérêts en présence" (Point 166 des conclusions)
➡️ Conclusion sur la proportionnalité : Une obligation de publication telle que celle résultant de l'ADBG n'est admissible que pour autant que, eu égard aux objectifs visés, elle demeure proportionnée, notamment en matière de portée et de durée de publication, compte tenu des circonstances spécifiques en cause.
👨⚖️ Sur la mise en balance au cas par cas :
L'Avocat général estime que les articles 5 et 6 du RGPD, lus à la lumière de l'ensemble des obligations et responsabilités incombant au responsable du traitement, peuvent impliquer que ce dernier effectue une mise en balance au cas par cas des intérêts en présence lorsqu'il détermine notamment les moyens du traitement.
Sur le fondement des articles 5, paragraphe 2, 24, paragraphe 1 et 25, paragraphe 1 du RGPD, les organismes nationaux antidopage demeurent responsables de la mise en œuvre du traitement et du respect des principes de licéité et de proportionnalité. Ils doivent mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour assortir le traitement des garanties nécessaires.
➡️ Cette mise en balance peut être exigée si elle s'impose pour traiter les données à caractère personnel de manière conforme au RGPD, notamment en prenant en compte des éléments tenant à la nature, à la portée, au contexte et aux finalités du traitement ainsi qu'aux risques pour les droits et libertés.
F. Sur la recevabilité d'une réclamation préventive (Question 7)
🔍 Contexte de la question :
La requérante YT a formé une réclamation auprès de l'autorité de contrôle avant même que ses données aient été publiées, fondée sur l'article 17 du RGPD (droit à l'effacement). L'autorité autrichienne de protection des données a rejeté cette réclamation au motif que les données n'avaient pas encore été publiées. La publication est ensuite intervenue au cours de la procédure de recours.
📋 Première partie : Recevabilité d'une réclamation avant le traitement
Sur le fondement de l'article 77, paragraphe 1 du RGPD, l'Avocat général procède à une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique :
1️⃣ Texte : L'article 77, paragraphe 1 emploie le terme "constitue" au présent, ce qui semble impliquer que le traitement doit avoir eu lieu, mais l'hypothèse d'un traitement à venir n'est pas expressément exclue.
2️⃣ Contexte : L'article 58, paragraphe 2, sous a) du RGPD prévoit que l'autorité de contrôle peut "avertir" un responsable du traitement du fait que les opérations "envisagées" sont "susceptibles" de violer le RGPD, ce qui s'inscrit dans une approche conservatoire.
3️⃣ Objectifs : Le considérant 10 du RGPD vise à assurer un niveau élevé de protection, ce qui plaide en faveur d'une approche préventive.
✅ Il ne saurait être exclu qu'une réclamation effectuée au titre de l'article 77 du RGPD puisse être recevable, en dépit du fait que le traitement n'a pas encore eu lieu, mais revêt un caractère qui n'est pas purement hypothétique.
❌ Toutefois, dans les circonstances du litige au principal, la réclamation fondée sur le droit à l'effacement (article 17 du RGPD) n'est pas recevable dès lors qu'elle concerne un traitement (la publication) qui, même imminent, n'existait ni au moment du dépôt de la réclamation ni au moment de la décision de l'autorité de contrôle.
➡️ L'effacement suppose par hypothèse que le traitement ait eu lieu. Il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier si cette réclamation visait en réalité à empêcher la publication (et non à effacer les données).
📋 Seconde partie : Recevabilité a posteriori
Sur le fondement des articles 77 et 78 du RGPD, l'Avocat général estime qu'il appartient à l'ordre juridique interne de régler, dans le respect des principes d'équivalence et d'effectivité, les conditions d'une telle recevabilité a posteriori, tant devant l'autorité de contrôle que devant le juge.
➡️ L'article 77, paragraphe 1, examiné à la lumière de l'article 78, paragraphe 1 du RGPD, ne s'oppose pas à la recevabilité d'une réclamation précédemment rejetée comme irrecevable par l'autorité de contrôle, lorsque le traitement de données intervient alors que le recours juridictionnel portant sur les mêmes faits est pendant devant le juge.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
Extrait principal des conclusions :
"Je suis d'avis qu'une obligation de publication de données à caractère personnel, telle que celle résultant de l'ADBG et mise en œuvre par l'ÖADR et NADA, n'est admissible que pour autant que, eu égard aux objectifs visés de dissuasion et d'éviter le contournement des règles antidopage, elle demeure proportionnée, notamment en matière de portée et de durée de publication, compte tenu des circonstances spécifiques en cause, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier" (Point 169 des conclusions)
4. POINTS DE DROIT
Points de droit importants établis par les conclusions :
🎯 Champ d'application du RGPD : L'exception prévue à l'article 2, paragraphe 2, sous a) du RGPD doit recevoir une interprétation stricte et ne vise que les activités relatives à la sécurité nationale. Le caractère non économique d'une activité et le fait qu'elle relève de la compétence des États membres ne suffisent pas à l'exclure du champ d'application du RGPD.
🎯 Données concernant la santé : La notion de "données concernant la santé" au sens de l'article 9 du RGPD doit être interprétée largement et englobe les données susceptibles de dévoiler, même indirectement, des informations sur l'état de santé futur de la personne concernée. La mention du nom de la substance interdite détectée peut constituer une telle donnée.
🎯 Qualification pénale des sanctions antidopage : Les condamnations antidopage peuvent relever de l'article 10 du RGPD lorsqu'elles présentent un degré de sévérité tel qu'elles ont un effet équivalant à une sanction pénale, indépendamment de leur qualification en droit interne (application des critères Engel).
🎯 Principe de proportionnalité : Une publication systématique et automatique sur Internet de données à caractère personnel, sans mise en balance au cas par cas des intérêts en présence, peut s'avérer disproportionnée au regard des objectifs de dissuasion et de prévention, notamment lorsque la portée de la publication est illimitée tant géographiquement que dans le temps.
🎯 Responsabilité du responsable du traitement : Le responsable du traitement demeure tenu, en application des articles 5, 24 et 25 du RGPD, de mettre en œuvre des mesures appropriées pour assurer le respect des principes de licéité et de proportionnalité, même lorsque le traitement est fondé sur une obligation légale. Cette responsabilité peut impliquer une mise en balance au cas par cas des intérêts en présence.
🎯 Voies de recours : Une réclamation auprès de l'autorité de contrôle peut, dans certaines circonstances, être recevable avant que le traitement n'ait eu lieu, pourvu que ce traitement ne soit pas purement hypothétique et se prête à une action préventive ou conservatoire. L'ordre juridique interne doit garantir l'effectivité de la protection et le droit à un recours effectif.
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NB : 🤖 résumé généré par IA