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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Colmar confirme le jugement de première instance déboutant un agent sportif de sa demande en paiement d'honoraires au titre d'un contrat de travail d'entraîneur pour lequel il n'avait effectué aucune diligence. La Cour juge qu'une clause de convention d'honoraires prévoyant un droit de suite automatique, illimité et non chiffré est réputée non écrite, car contraire aux dispositions d'ordre public de direction de l'article L. 222-17 du Code du sport. Ce texte conditionne la rémunération de l'agent à une mise en rapport effective des parties et impose que le montant de la commission soit précisément déterminé dans le contrat de mandat. Par conséquent, la Cour rejette intégralement les prétentions de l'appelant.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : L'appelant est M. [J] [D], un agent sportif. L'intimée est la SASP ESSM [Localité 8] BASKET BALL COTE D'OPALE, un club de basket-ball professionnel.
- Problèmes juridiques principaux : Le litige porte sur la validité et l'interprétation d'une clause instaurant un droit de suite au bénéfice d'un agent sportif sur les contrats successifs d'un entraîneur. Il soulève également la question de l'autorité de la chose jugée d'une décision antérieure et l'application des règles d'ordre public du Code du sport en matière de rémunération des agents.
- Question juridique principale : Une clause contractuelle prévoyant le versement de commissions à un agent sportif sur les renouvellements successifs du contrat d'un entraîneur, sans limitation de durée, sans fixation de son montant et en l'absence de toute diligence de l'agent pour la conclusion desdits contrats, est-elle conforme aux dispositions impératives du Code du sport ?
- Exposé du litige et arguments :
- ❌ L'agent sportif (appelant) soutient que la convention d'honoraires initiale lui confère un droit de suite sur tous les contrats conclus ultérieurement entre le club et l'entraîneur qu'il a initialement présenté en 2014. Il invoque l'autorité de la chose jugée d'un jugement de 2021 qui lui avait donné raison pour un précédent renouvellement de contrat. Il estime que l'absence de diligences de sa part pour le contrat de 2018 est indifférente.
- ✅ Le club (intimée) rétorque que les règles encadrant la profession d'agent sportif relèvent de l'ordre public de direction. Il conteste l'autorité de la chose jugée, l'objet du litige étant différent. Il soutient que la clause litigieuse, instaurant un droit de suite automatique et illimité, est illicite au regard de l'article L. 222-17 du Code du sport, car la rémunération doit être la contrepartie d'une prestation effective et être déterminée contractuellement. Il conclut que cette clause doit être réputée non écrite.
2. ANALYSE DES MOTIFS
La Cour d'appel articule son raisonnement en deux temps : elle écarte d'abord le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée avant d'analyser, au fond, la validité de la clause litigieuse au regard du droit spécial du sport.
A. Sur l'autorité de la chose jugée du jugement du 15 janvier 2021
🔍 La Cour examine si le jugement antérieur, devenu définitif, interdisait au club de contester la validité de la clause de droit de suite. Sur le fondement de l'article 1351 du Code civil (dans sa version applicable) et de l'article 480 du Code de procédure civile, la Cour rappelle que l'autorité de la chose jugée ne s'applique qu'en présence d'une triple identité : de parties, de cause et d'objet. 👨⚖️ Elle procède à une analyse comparative des deux litiges. Le premier, tranché en 2021, portait sur la rémunération due au titre du contrat de travail de l'entraîneur conclu en 2017. Le présent litige, quant à lui, a pour objet la rémunération afférente à un nouveau contrat, distinct, conclu en 2018 pour les saisons 2018-2019 à 2022-2023. La Cour en déduit une absence d'identité d'objet entre les deux instances.
"Dans le cadre de la présente procédure, la contestation porte sur le versement d'une certaine somme réclamée par l'appelant, au titre des saisons 2018-2019 à 2022-2023 et par référence au contrat de travail de M. [I] du 28 août 2018, qui en constitue l'objet. Il s'en infère, tel que le retient le jugement déféré du 16 février 2024, qu'il n'y a pas d'identité d'objet entre ces deux procédures, de sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée." (Décision, page 7)
➡️ Cette dissociation des objets de la demande permet à la Cour d'écarter le moyen de l'appelant. Elle est donc libre d'examiner la légalité de la clause de la convention d'honoraires, sans être liée par la motivation ou le dispositif de la décision de 2021.
B. Sur le bien-fondé des demandes de l'agent sportif
🔍 La Cour analyse la conformité de la clause de droit de suite aux dispositions impératives du Code du sport. La Cour se fonde sur l'article L. 222-17 du Code du sport, qui impose des mentions obligatoires au contrat d'agent sportif, notamment le montant de sa rémunération, et sanctionne toute convention contraire par la nullité (clause réputée non écrite). 1️⃣ 📋 Une clause contractuelle imprécise et équivoque : La Cour relève d'abord que la clause litigieuse, stipulant que "les commissions d'agent reviendront à M. [J] [D]" en cas de renouvellement, est rédigée en des termes vagues. Elle ne précise ni la période couverte, ni le montant, ni les modalités de calcul des commissions futures.
"Il est cependant relevé que la dernière stipulation, relative à l'éventuelle évolution contractuelle de l'entraîneur, est rédigée dans des termes particulièrement imprécis et équivoques, en ce qu'elle ne prévoit ni la période couverte par cette évolution contractuelle, ni le montant ou à tout le moins les modalités de calcul des commissions qu'elle mentionne." (Décision, page 9)
2️⃣ ⚠️ L'absence de contrepartie effective : La Cour souligne un point factuel essentiel : l'agent reconnaît lui-même n'avoir accompli aucune diligence pour la conclusion du contrat de 2018. Or, la rémunération de l'agent est conditionnée, par l'article L. 222-17 du Code du sport, à sa mission de mise en rapport. L'absence de toute prestation de sa part pour le nouveau contrat fait donc obstacle à toute rémunération.
"il convient de rappeler les dispositions de l'article L. 222-17 précité, selon lesquelles la rémunération due à l'agent sportif est conditionnée à la mise en rapport effective par celui-ci des parties intéressées. Or, M.'[D] reconnaît n'avoir réalisé aucune diligence en vue de la conclusion du contrat du 28 août 2018 [...] de sorte qu'aucune mise en rapport ne peut être caractérisée." (Décision, page 9)
3️⃣ ⚖️ La violation de l'ordre public de direction : La Cour juge que la clause, telle qu'interprétée par l'agent, institue un droit de suite illimité dans le temps et implicitement fondé sur le plafond légal de 10 %. Elle rappelle que ce plafond n'a pas de caractère supplétif en cas de silence du contrat. Une telle clause méconnaît les exigences de l'article L. 222-17 et de l'article L. 222-2-4 du Code du sport (limitant la durée des contrats), qui sont d'ordre public. ➡️ La sanction est donc que la clause doit être réputée non écrite et est inopposable au club.
"Ce faisant, la stipulation litigieuse de la convention d'honoraires - en ce qu'elle semble induire un droit de suite à la durée illimitée - méconnaît clairement les mentions obligatoires prévues par les textes du code du sport susvisés, lesquelles sont d'ordre public, de sorte qu'elle est manifestement inopposable au club." (Décision, page 10)
Enfin, la Cour écarte l'argument de l'appelant selon lequel la nullité ne pourrait être soulevée par voie d'exception en raison du commencement d'exécution du contrat. Elle précise que l'action tendant à voir une clause réputée non écrite n'est pas soumise à prescription.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"[...] si aucun pourcentage n'est stipulé dans la convention, il ne saurait en être déduit un renvoi implicite au plafond de 10 % prévu à l'article L. 222-17 du code du sport, lequel n'a pas de rôle supplétif en cas de silence du contrat, soulignant de surcroît le fait que dans le silence du contrat de mandat et de la convention d'honoraires, le club pouvait supposer que son engagement se limitait nécessairement aux 5 années prévues par l'article 222-2-4 du code du sport. Ce faisant, la stipulation litigieuse de la convention d'honoraires [...] méconnaît clairement les mentions obligatoires prévues par les textes du code du sport susvisés, lesquelles sont d'ordre public, de sorte qu'elle est manifestement inopposable au club." (Page 10 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Autorité de la chose jugée : L'autorité de la chose jugée, définie à l'article 1351 du Code civil, ne s'applique que si l'objet du litige est strictement identique. Une demande de commissions pour un contrat de travail distinct constitue un objet nouveau, même si elle se fonde sur la même convention d'honoraires initiale.
- 🔗 Rémunération de l'agent sportif : Sur le fondement de l'article L. 222-17 du Code du sport, la rémunération de l'agent est la contrepartie d'une prestation effective de mise en rapport. L'absence de toute diligence pour la conclusion d'un nouveau contrat fait obstacle au droit à commission.
- ⚖️ Ordre public de direction : Les dispositions du Code du sport relatives à la rémunération des agents (montant déterminé, plafonnement, durée) sont d'ordre public de direction. Une clause instaurant un droit de suite automatique, perpétuel et non chiffré y contrevient.
- 👨⚖️ Clause réputée non écrite : La sanction d'une telle clause est d'être réputée non écrite. L'action visant à faire constater ce caractère n'est pas soumise à prescription et peut être invoquée en défense, indépendamment de l'exécution passée du contrat. Le plafond de 10 % prévu par la loi n'a pas de caractère supplétif et ne peut pallier le silence du contrat sur le montant de la rémunération.
Mots clés
Agent sportif, droit de suite, commission, ordre public de direction, Code du sport, article L. 222-17, clause réputée non écrite, autorité de la chose jugée, mise en rapport, convention d'honoraires.
NB : 🤖 résumé généré par IA