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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Lyon confirme le jugement prud'homal jugeant abusive la rupture anticipée du contrat à durée déterminée d'un entraîneur de basketball pour faute grave. Si le comportement fautif du salarié est matériellement établi, la Cour écarte la qualification de faute grave en raison du non-respect par le club de l'exigence jurisprudentielle d'agir dans un délai restreint. Elle juge que ce bref délai, critère d'appréciation de la gravité de la faute, n'est pas suspendu par les dispositions de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à l'urgence sanitaire, laquelle ne vise que les délais de prescription légaux, tel que celui prévu à l'article L. 1332-4 du Code du travail. La rupture est donc requalifiée en rupture abusive et ouvre droit à indemnisation.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : La SOCIETE ASVEL BASKET (l'employeur, appelante) et M. [Y] (l'entraîneur professionnel, intimé).
- Problèmes juridiques principaux : Qualification de la faute grave d'un entraîneur professionnel, distinction entre faute technique sportive et faute disciplinaire, respect du délai de prescription de l'action disciplinaire et de l'exigence d'un délai restreint pour notifier une faute grave, et l'articulation de ces délais avec les dispositions dérogatoires de l'état d'urgence sanitaire de 2020.
- Question juridique principale : La rupture anticipée du contrat à durée déterminée d'un entraîneur pour faute grave, fondée sur un comportement antisportif, est-elle justifiée lorsque l'employeur engage la procédure disciplinaire 54 jours après les faits, dans le contexte de l'état d'urgence sanitaire ?
- Exposé du litige : Le club a rompu de manière anticipée le CDD de son entraîneur principal pour faute grave, lui reprochant des écarts de comportement répétés envers le corps arbitral, dont un dernier incident qualifié de "tentative d'intimidation" le 10 mars 2020. ❌ L'employeur soutenait que ce comportement portait atteinte à son image et constituait une violation des obligations contractuelles. ✅ L'entraîneur contestait la rupture, invoquant à titre principal la prescription des faits et, subsidiairement, le non-respect du délai restreint imposé par la jurisprudence en matière de faute grave, arguant que son comportement relevait de la stratégie de jeu et de son indépendance technique.
2. ANALYSE DES MOTIFS
La Cour d'appel confirme le jugement de première instance en articulant son raisonnement en plusieurs temps : elle écarte d'abord le moyen tiré de la prescription des faits, établit ensuite la matérialité d'un comportement fautif, avant de disqualifier la faute grave en raison du non-respect du délai restreint.
A. Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
La Cour confirme le rejet de la demande de l'entraîneur au titre du travail dissimulé. ⚖️ Elle estime que les éléments de preuve apportés, notamment des témoignages et un article de presse, sont insuffisamment probants pour démontrer l'existence d'un travail effectif pendant la période d'activité partielle liée à la crise sanitaire, et encore moins pour caractériser l'élément intentionnel de la dissimulation requis par l'article L. 8221-5 du Code du travail.
B. Sur la rupture anticipée du contrat de travail
La Cour examine la validité de la rupture sous un triple angle : la prescription, la matérialité de la faute et sa qualification. 1. ❌ Sur la prescription des faits fautifs (article L. 1332-4 du Code du travail) La Cour rejette le moyen de l'entraîneur tiré de la prescription des faits. 🔍 Elle analyse la portée de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais durant l'état d'urgence sanitaire. Sur le fondement de l'article L. 1332-4 du Code du travail, qui fixe un délai de deux mois pour engager des poursuites disciplinaires, la Cour juge que cette obligation constitue un acte prescrit par la loi relevant du champ d'application de l'ordonnance.
"Il résulte de la combinaison de ces textes que l'obligation imposée à l'employeur de mettre en 'uvre la procédure disciplinaire, dans le délai de deux mois des faits fautifs constitue un acte prescrit par la loi relevant des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire (...)" (Page 11 de la décision)
➡️ Par conséquent, la Cour considère que le délai de prescription légal a été valablement suspendu, et que la procédure disciplinaire engagée le 4 mai 2020 pour des faits commis le 10 mars 2020 n'était pas tardive au regard de ce texte. Le moyen de la prescription est donc écarté. 2. ✅ Sur l'existence d'un comportement fautif La Cour estime que le comportement de l'entraîneur le 10 mars 2020 constitue bien une faute contractuelle. 👨⚖️ Elle s'appuie sur les obligations contractuelles du salarié, qui s'était engagé à avoir une conduite irréprochable et à respecter les règlements de la Ligue Nationale de Basket (LNB) prohibant la contestation des décisions arbitrales. L'élément décisif du raisonnement réside dans l'aveu même du salarié.
"Le salarié reconnaît qu'il a contesté une décision arbitrale qu'il avait estimée erronée et ajoute qu'il s'agissait de pousser l'arbitre à le sanctionner afin que le jeu subisse un temps-mort pour laisser le temps à ses joueurs de se ressaisir (...). Ce faisant, il admet avoir volontairement poussé l'arbitre à le sanctionner et ce faisant, l'existence tant de la réalité des faits que de la qualification retenue de « tentative d'intimidation » reprochée (...)." (Page 13 de la décision)
➡️ Cette reconnaissance de l'intentionnalité de l'acte, qualifié de "tentative d'intimidation", établit la matérialité d'une violation des obligations contractuelles. La Cour écarte ainsi l'argument de l'indépendance technique et sportive, qui ne saurait justifier un manquement aux devoirs de comportement. 3. ❌ Sur la qualification de faute grave et le respect du délai restreint C'est sur ce point que la décision bascule. Bien qu'une faute soit établie, la Cour refuse de la qualifier de faute grave. ⚖️ Elle rappelle que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et impose à l'employeur d'agir dans un délai restreint. Or, 54 jours se sont écoulés entre le fait fautif et l'engagement de la procédure. La Cour opère alors une distinction fondamentale : le délai restreint est une exigence jurisprudentielle d'appréciation de la gravité, et non un délai de prescription légal. Il n'entre donc pas dans le champ de l'ordonnance n°2020-306.
"Néanmoins, en engageant la procédure au plus tôt 54 jours après la connaissance de ces faits, l'employeur n'a pas respecté l'exigence de bref délai, lequel ne rentrait pas dans le cadre de l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire (...)." (Page 14 de la décision)
➡️ Ce manquement au bref délai retire à la faute son caractère de gravité. La Cour conclut que la faute grave n'est pas constituée, rendant la rupture anticipée du CDD abusive et ouvrant droit pour le salarié à l'indemnité prévue à l'article L. 1243-4 du Code du travail.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"Néanmoins, en engageant la procédure au plus tôt 54 jours après la connaissance de ces faits, l'employeur n'a pas respecté l'exigence de bref délai, lequel ne rentrait pas dans le cadre de l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, même si pendant cette période, les manifestations sportives étaient interdites et que le salarié se trouvait en chômage partiel." (Page 14 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- ⚖️ Distinction des délais en matière disciplinaire : La décision opère une distinction cruciale entre :
- 🔗 Le délai de prescription de l'action disciplinaire de deux mois (prévu par l'article L. 1332-4 du Code du travail), qui est un délai légal suspendu par l'ordonnance n°2020-306 sur l'urgence sanitaire.
- 🔗 Le délai restreint (ou bref délai), une construction jurisprudentielle qui est un critère d'appréciation de la faute grave et n'est pas affecté par ladite ordonnance.
- 🎯 Qualification de la faute : Un comportement peut être qualifié de faute contractuelle (ici, une "tentative d'intimidation" sur un arbitre, en violation du contrat et des règlements sportifs) sans pour autant atteindre le degré de gravité requis pour une rupture immédiate, notamment si l'employeur tarde à réagir.
- 👨⚖️ Appréciation de l'inaction de l'employeur : Le non-respect du délai restreint par l'employeur est interprété comme le signe que le maintien du salarié dans l'entreprise n'était pas impossible, ce qui est incompatible avec la notion même de faute grave.
- 🎓 Portée de l'indépendance technique de l'entraîneur : L'indépendance technique et sportive reconnue à un entraîneur ne l'exonère pas du respect de ses obligations contractuelles de comportement et d'exemplarité.
Mots clés
faute grave, rupture anticipée, contrat à durée déterminée, entraîneur professionnel, délai restreint, prescription, droit disciplinaire, ordonnance n°2020-306, comportement fautif, obligation contractuelle.
NB : 🤖 résumé généré par IA