22/01925
Résumé
En bref
La Cour d’appel de Paris (19 juin 2025, n° 22/01925), statuant en matière de droit du travail sportif, a reconnu l’absence de justification objective au recours successif aux contrats à durée déterminée (CDD) par la société [6] sur une période de 9 ans, requalifiant la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée (CDI) sur le fondement des articles L.1221-2, L.1242-1 et L.1242-2 du Code du travail et du droit de l’Union européenne (directive 1999/70/CE). Elle a accordé à Monsieur [B] [G] diverses indemnités, annulé la mise à pied disciplinaire et les retenues illicites, mais a jugé prescrites les demandes relatives au licenciement.
En détail
Les parties opposent Monsieur [B] [G], sportif professionnel, salarié successif du club sous différentes formes de CDD de 2010 à 2019, et la société [6], club employeur, représentée en appel.
Principaux problèmes : la légitimité des recours répétés aux CDD dans le secteur sportif, la régularité des sanctions disciplinaires (mise à pied, suppression de prime), la portée de l’obligation de loyauté, ainsi que la question de la prescription applicable à certaines demandes indemnitaires.
Question principale : la société pouvait-elle justifier objectivement le recours répété aux CDD pour un emploi manifestement durable, en tenant compte des spécificités du secteur sportif professionnel ?
Exposé du litige et argumentation
Monsieur [G] conteste la succession de ses CDD, l’absence de versement de primes d’éthique, les retenues de salaire résultant d’une mise à pied et l’exécution déloyale du contrat (mise à l’écart non justifiée). Il sollicite la requalification en CDI, rappel de salaires, indemnités diverses et une condamnation pour exécution déloyale.
La société [6] argue que CDD d’usage sont la norme dans le secteur, que les dispositions du Code du sport (articles L.222-2-1 et suivants) priment et qu’aucune irrégularité n’est caractérisée, ajoutant en outre la prescription des demandes relatives à la rupture.
Raisonnement et motifs retenus
1. Rappel de salaire de janvier 2019
La Cour applique l'article 606 de la Charte du football professionnel et constate que l’absence du salarié n’était pas justifiée sauf pour le 19 décembre 2018, confirmant le droit de Monsieur [G] au rappel de salaire pour ce seul jour.
2. Primes d’éthique
La suppression de primes d’éthique est analysée au regard des articles L.1331-1 et L.1331-2 du Code du travail : "constitue une sanction toute mesure… affectant la rémunération". Or, la mesure prise en réponse à un comportement jugé fautif ne relève pas d’une simple modulation salariale mais d’une sanction pécuniaire prohibée, donc annulée.
Extrait de la décision
"la décision... constitue en réalité clairement, sous couvert de la suppression d'une prime d'objectif, une mesure prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié qu'il considère comme fautif et répond donc à la définition de sanction disciplinaire."
3. Mise à pied disciplinaire
Sur le fondement des articles L.1333-1 et L.1333-2 du Code du travail, la Cour rappelle l’interdiction de la double sanction (« non bis in idem ») et annule la mise à pied pour avoir sanctionné deux fois les mêmes faits, donnant droit au rappel de salaire correspondant.
4. Sur la prescription de l'action en requalification
Sur le fondement de l'article L.1471-1 du Code du travail, la Cour a précisé que le point de départ du délai de prescription court à compter du terme du dernier contrat lorsque l'action est fondée sur le motif du recours au contrat. Elle a rejeté l'argument du club selon lequel la prescription aurait couru dès 2016, considérant que c'est seulement à la fin de la relation contractuelle dans son ensemble que le salarié dispose des éléments nécessaires pour agir.
La Cour a ainsi déclaré recevable l'action en requalification formée le 30 décembre 2020, le dernier contrat ayant pris fin le 30 juin 2019.
5. Sur la requalification des contrats
Sur le fondement des articles L.1221-2 et L.1242-2 du Code du travail, la Cour a procédé à une analyse approfondie de la validité des contrats à durée déterminée d'usage. Elle a d'abord écarté l'application des articles L.222-2-1 et suivants du Code du sport issus de la loi du 27 novembre 2015, considérant que l'avenant de 2014 échappait aux dispositions transitoires de cette loi.
La Cour a rappelé que l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée impose de vérifier que le recours à des contrats successifs est justifié par des raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Elle a souligné que la détermination conventionnelle des emplois d'usage ne dispense pas le juge de cette vérification concrète.
Analysant les arguments du club (spécificité du secteur sportif, saisonnalité, équité des compétitions, périodes de recrutement), la Cour a estimé qu'il s'agissait de considérations d'ordre général ne constituant pas des éléments concrets et précis justifiant le recours aux contrats à durée déterminée. Elle a particulièrement relevé que l'emploi d'un joueur a vocation à exister tant que le club dispose d'une équipe de football.
"Il résulte de ces considérations que la société [6] n'apporte pas la preuve d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par Monsieur [G], ce dont il convient de conclure que les contrats à durée déterminée en cause avait en réalité été conclus, pendant une période de sept années pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.”
5. Indemnité compensatrice de préavis
Appliquant l’article L.3245-1 du Code du travail (prescription triennale), la Cour juge la demande recevable. La rupture de la relation relevant du licenciement, la Cour prononce le versement de l’indemnité de préavis et de congés payés afférents, conformément à la convention collective.
6. Demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La Cour écarte ces demandes pour prescription (article L.1471-1, al. 2), le point de départ étant le terme du dernier CDD.
7. Exécution déloyale du contrat
Sur le fondement de l’article L.1222-1, les faits établissent une mise à l’écart injustifiée constitutive d’un manquement à l’obligation de bonne foi, la Cour alloue une indemnité de 10 000 €.
8. Autres points
La société est condamnée à la remise de documents rectifiés, à régler les indemnités dues et aux dépens, ses demandes reconventionnelles étant rejetées. Points de droit et répercussions :
- Affirmation des exigences de justification concrète du recours aux CDD, malgré la singularité de la discipline.
- Sévérité accrue contre les sanctions pécuniaires déguisées.
- Importance du respect de la procédure et des droits du salarié face aux particularités du secteur sportif.
Mots clés
requalification contrat à durée indéterminée, CDD d’usage dans le sport, articles L.1221-2 et L.1242-2 Code du travail, sanction pécuniaire illicite, non bis in idem, mise à pied disciplinaire, sport professionnel, prescription action en requalification, obligation de loyauté, indemnité compensatrice de préavis