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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Paris requalifie l'ensemble des relations contractuelles entre un judoka de haut niveau et son club (CDD et « conventions athlète-club ») en un unique contrat de travail à durée indéterminée de sportif professionnel. Cette requalification se fonde sur le non-respect des conditions de fond et de forme imposées par les articles L. 222-2 et suivants du Code du sport. La Cour juge que la rupture de ce contrat, intervenue après une blessure, constitue un licenciement nul en raison d'une discrimination fondée sur l'état de santé du sportif, en application de l'article L. 1132-1 du Code du travail. Elle accueille par conséquent l'essentiel des demandes du salarié et condamne le club à diverses indemnités.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : M. [R] [K], judoka de haut niveau (appelant), contre l'Association [Localité 6] Judo (intimée).
- Principaux problèmes juridiques : La qualification juridique des « conventions athlète, club » signées en parallèle de plusieurs contrats à durée déterminée (CDD) ; la requalification de l'ensemble de la relation en contrat à durée indéterminée (CDI) ; la date et la nature de la rupture de la relation contractuelle ; la caractérisation d'une discrimination liée à l'état de santé et d'un manquement à l'obligation de sécurité.
- Question juridique principale : Les « conventions athlète, club », conclues en parallèle de CDD mentionnant un poste d'éducateur sportif, doivent-elles être requalifiées en contrat de travail et, le cas échéant, l'ensemble de la relation contractuelle constitue-t-il un unique CDI de sportif professionnel dont la rupture s'analyserait en un licenciement nul pour discrimination ?
- Exposé du litige : Un judoka de haut niveau, lié à son club par une succession de CDD pour un emploi d'« éducateur sportif » et de « conventions athlète, club » organisant sa pratique sportive, a vu la relation prendre fin après une blessure. ❌ L'association soutient l'existence de deux relations distinctes : une relation de travail salariée (CDD), arrivée à son terme naturel, et une relation non salariée régie par les conventions. ✅ Le sportif soutient au contraire que l'ensemble de ces contrats masquait une unique relation de travail de sportif professionnel salarié en CDI, rompue de manière abusive et discriminatoire.
2. ANALYSE DES MOTIFS
La Cour d'appel procède à une analyse en trois temps : elle statue d'abord sur la nature des « conventions athlète, club » pour établir la compétence de la juridiction prud'homale, puis requalifie l'intégralité de la relation en CDI avant d'examiner les circonstances et conséquences de sa rupture.
A. Sur la compétence du conseil de prud'hommes et la nature des "conventions athlète, club"
🔍 La Cour examine les conditions réelles d'exécution des conventions pour déterminer leur nature juridique, indépendamment de leur dénomination. Elle recherche la présence des trois éléments constitutifs du contrat de travail : une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique. 1️⃣ Prestation de travail : La Cour constate que l'activité réelle de M. [K] était celle de judoka professionnel (entraînements bi-quotidiens, participation à des compétitions et stages, obligations de représentation), et non celle d'éducateur sportif mentionnée dans les CDD. 2️⃣ Rémunération : Les sommes versées, qu'elles soient qualifiées d'« aides financières », de salaires ou de frais, constituaient en réalité la contrepartie de la prestation sportive. 3️⃣ Lien de subordination : Ce lien est caractérisé par 🎯 le pouvoir de direction (respect de programmes d'entraînement et de compétition fixés par le club), 🎯 le pouvoir de contrôle (autorisation requise pour les absences) et 🎯 le pouvoir de sanction (possibilité d'exclusion et de suppression des aides financières, mise en œuvre par le courrier du 21 juin 2019). ➡️ La Cour en déduit que ces conventions organisaient une véritable relation de travail salariée. Sur le fondement de la jurisprudence constante relative aux critères du contrat de travail, elle conclut que les conventions relevaient bien de la compétence du conseil de prud'hommes.
"Il résulte de ce qui précède que les « conventions athlètes club », au-delà de leur intitulé, organisaient une prestation de travail sous la subordination juridique de l'association [Localité 6] Judo, en contrepartie d'une rémunération." (Décision, p. 16)
Cette qualification est déterminante, car elle permet à la Cour d'analyser l'ensemble des relations contractuelles comme un tout indivisible et de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par l'association.
B. Sur la requalification de la relation en CDI de sportif professionnel à temps plein
🔍 La Cour analyse ensuite l'ensemble de la relation à l'aune des dispositions spécifiques applicables aux sportifs professionnels. Sur le fondement de l'article L. 222-2 du Code du sport, qui définit le sportif professionnel salarié, la Cour confirme que M. [K] relevait de ce statut. Par conséquent, les contrats conclus auraient dû respecter le régime dérogatoire du CDD de sportif professionnel, prévu aux articles L. 222-2-1 et suivants du même code. Or, la Cour relève de multiples irrégularités de fond et de forme : ⚠️ la mention erronée de la qualification d'« éducateur sportif », ⚠️ l'absence de mention exacte de toutes les composantes de la rémunération et ⚠️ l'absence de contrat écrit régulier pour l'ensemble des périodes travaillées.
"Faute de contrat à durée déterminée régulier signé entre le 4 juin 2015 jusqu'au 21 juin 2019, la relation contractuelle est nécessairement un CDI étant précisé que la requalification des « conventions athlète, club » en contrats de travail, comme établi précédemment, implique que ces accords, qui ne respectent pas les strictes conditions des CDD (code du sport), doivent également être requalifiés en CDI." (Décision, p. 21)
➡️ En application de l'article L. 222-2-8 du Code du sport, qui répute à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance de ces règles, la Cour requalifie l'ensemble de la relation en un unique CDI à temps plein depuis le début de la collaboration, le 2 juin 2015. Elle fixe la date de rupture non pas à la fin du dernier CDD (octobre 2018), mais à la date de la lettre d'« exclusion » du club (21 juin 2019), qui constitue le véritable acte de licenciement.
C. Sur la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de santé
🔍 La Cour applique le régime probatoire de la discrimination prévu à l'article L. 1134-1 du Code du travail. ✅ Le salarié présente des éléments de fait laissant supposer une discrimination :
- La rupture intervient après une blessure en compétition.
- Le club a refusé de déclarer cette blessure en accident du travail.
- La rémunération a été drastiquement réduite.
- Le salarié a été contraint d'accepter des statuts précaires (service civique, puis absence de statut).
- Des propos du directeur technique ("tu ne vaux plus ce que tu gagnes") lient directement la baisse de valeur perçue à ses blessures.
❌ En défense, l'employeur ne parvient pas à justifier ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Ses arguments, fondés sur la fin prétendument naturelle du CDD et la distinction artificielle avec la convention athlète, sont balayés par la requalification préalable de la relation en CDI.
"À l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'association [Localité 6] Judo ne démontre pas que les faits matériellement établis par M. [K] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La discrimination est donc établie comme le conseil de prud'hommes l'a justement retenu." (Décision, p. 25)
➡️ En application de l'article L. 1132-4 du Code du travail, la rupture intervenue dans un tel contexte discriminatoire est déclarée nulle. Ce licenciement nul ouvre droit pour le salarié, qui ne demande pas sa réintégration, à une indemnité réparant l'intégralité de son préjudice, en sus des indemnités de rupture.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"les « conventions athlète-club » conclues entre les parties constituent donc, au même titre que les contrats à durée déterminée successifs, l'organisation d'une relation de travail salariée." (Décision, p. 16)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Qualification de la relation contractuelle : Une « convention athlète-club » doit être requalifiée en contrat de travail dès lors que les conditions d'exécution réelles révèlent une prestation de travail (pratique sportive pour le compte du club), une rémunération et un lien de subordination juridique, peu important la dénomination de l'acte.
- 🔗 Champ d'application du CDD de sportif professionnel : Le régime spécifique du contrat de travail à durée déterminée pour les sportifs professionnels, tel que défini aux articles L. 222-2 et suivants du Code du sport, s'applique à toute relation salariée ayant pour objet l'exercice d'une activité sportive, même si le contrat mentionne une autre qualification (ex: éducateur sportif).
- ⚖️ Sanction du non-respect du formalisme : Le non-respect des règles de fond et de forme impératives du CDD de sportif professionnel (emploi réel, mentions obligatoires, etc.) entraîne de plein droit la requalification de la relation en contrat à durée indéterminée en vertu de l'article L. 222-2-8 du Code du sport.
- 👨⚖️ Appréciation de la discrimination : En matière de discrimination fondée sur l'état de santé, il appartient au salarié de présenter des faits laissant supposer son existence. Il incombe alors à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. À défaut, la discrimination est établie et le licenciement encourt la nullité.
Mots clés
Sportif professionnel, Requalification de contrat, Convention athlète-club, Contrat de travail à durée déterminée (CDD), Code du sport, Lien de subordination, Licenciement nul, Discrimination, État de santé, Obligation de sécurité.
NB : 🤖 résumé généré par IA