22/04561
Résumé
En bref
La Cour d’appel de Rennes a jugé qu’une succession de contrats à durée déterminée (CDD) spécifiques au sportif professionnel ne justifiait pas une requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) sur le fondement du droit de l’Union européenne. Sur le fondement de l'article L.222-2-3 du Code du sport et de la jurisprudence de la CJUE, la Cour a procédé à une analyse in concreto et conclu que l'emploi n'était pas permanent. Elle a cependant prononcé la requalification du dernier CDD en CDI à titre de sanction pour sa transmission tardive, en application de l’article L.222-2-5-II du Code du sport. La Cour a également affirmé la force obligatoire d'un protocole d'accord prévoyant une rémunération supérieure à celle du contrat de travail final, écartant toute novation.
En détail
Cette affaire opposait un joueur de volley-ball professionnel, M. [I], à son ancien club, l’Association [Localité 11] volley 35, ultérieurement placée en liquidation judiciaire. Le litige portait principalement sur la nature de la relation contractuelle, matérialisée par trois CDD successifs. Le joueur sollicitait la requalification de la relation en CDI et le paiement de diverses sommes. La question juridique centrale était double : d'une part, le régime dérogatoire français du CDD sportif, prévu par le Code du sport, est-il conforme à la directive européenne 1999/70/CE lorsque les contrats se succèdent ? D'autre part, quelle est la force juridique d'un accord préliminaire ("preliminary of contract") par rapport à un contrat de travail formalisé ultérieurement pour un montant inférieur ? Le litige s'articulait autour de plusieurs points : la force obligatoire d'un protocole d'accord fixant une rémunération de 60 000 €, alors que le CDD homologué mentionnait 46 560 € ; la demande de requalification des CDD successifs en CDI au regard du droit de l'Union européenne ; et les conséquences d'une transmission tardive du dernier CDD à l'organisme compétent. 1. Sur la force obligatoire du protocole d’accord et le rappel de salaire La Cour a d'abord tranché la question de la rémunération applicable. Elle a considéré que le protocole d’accord signé entre les parties avant la formalisation du contrat de travail constituait un engagement ferme et définitif, créateur d’obligations. Le fait que le club ait commencé à exécuter ses obligations, notamment en versant une partie des salaires, conférait à cet acte une pleine force obligatoire, nonobstant l'absence d'homologation par les instances fédérales. Sur le fondement des articles 1329 et 1330 du Code civil relatifs à la novation, la Cour a rejeté l'argument du club selon lequel la signature du CDD pour un montant inférieur aurait emporté novation de l'accord initial. Elle rappelle que la novation ne se présume point et doit résulter d’une volonté non équivoque des parties d’éteindre l’obligation initiale pour lui en substituer une nouvelle. En l'espèce, la simple coexistence de deux instruments contractuels aux montants divergents, sans clause expresse de renonciation à l'accord antérieur, ne suffisait pas à caractériser une telle intention. En conséquence, et en application des principes de force obligatoire et d'interprétation des contrats prévus notamment aux articles 1192 et 1375 du Code civil, la Cour a jugé que le joueur était en droit de réclamer la différence de salaire entre le montant prévu au protocole d'accord et celui effectivement perçu. Elle a également rectifié le calcul de l'indemnité de congés payés, appliquant le taux de 12 % de la Convention collective nationale du sport, plus favorable que le taux légal, et a inclus tous les avantages et primes dans l'assiette de calcul. 2. Sur la requalification des CDD successifs au regard du droit de l'Union européenne Le cœur du débat juridique portait sur la compatibilité du recours successif au CDD spécifique du sportif professionnel avec le droit de l'Union. Le salarié invoquait la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive 1999/70/CE, qui vise à prévenir les abus résultant de l'utilisation de CDD successifs. La Cour a dû opérer un contrôle de conventionalité du dispositif national français, qui impose le recours au CDD pour les sportifs professionnels sur le fondement de l'article L.222-2-3 du Code du sport. S'appuyant sur la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'Union Européenne (notamment l'arrêt Kücük, CJUE, 26 janv. 2012, C-586/10), la Cour d'appel a rappelé que si les États membres peuvent prévoir des dérogations sectorielles au principe du CDI, celles-ci doivent être justifiées par des "raisons objectives" et ne doivent pas permettre de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'employeur. Elle a donc procédé à une analyse in concreto de la situation du joueur. La Cour a constaté que le contrat du joueur n'avait été renouvelé qu'à deux reprises pour une durée totale de 32 mois, soit moins de trois ans. Elle en a déduit que cette durée limitée ne suffisait pas à démontrer que le joueur occupait un emploi relevant de l'activité permanente du club. La succession des contrats n'avait donc pas eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un tel emploi. Par conséquent, la demande de requalification de l'ensemble de la relation de travail en CDI sur ce fondement a été rejetée, validant ainsi, dans ce cas d'espèce, la conformité du régime français au droit de l'UE.
Extrait de la décision :
"Par conséquent M. [I] n’a pas occupé entre le 26 octobre 2017 et le 30 juin 2020 un emploi relevant de l’activité permanente du club (…) les contrats à durée déterminée spécifiques (...), n’ont pas servi à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente du club de volley-ball."
3. Sur la sanction du non-respect du formalisme Bien qu'ayant écarté la requalification au titre de la succession de contrats, la Cour a sanctionné un manquement formel de l'employeur. Sur le fondement de l'article L.222-2-5-II du Code du sport, qui impose la transmission du CDD à l'organisme compétent dans un délai de deux mois, la Cour a constaté que le dernier contrat avait été transmis tardivement. Conformément à l'article L.222-2-8 du Code du sport, cette irrégularité entraîne de plein droit la requalification du contrat en CDI. Cette requalification n'est pas une requalification-constat (reconnaissance d'une relation de travail permanente) mais une requalification-sanction, qui ne s'applique qu'au contrat irrégulier. Par conséquent, seul le dernier CDD a été requalifié en CDI à compter de sa date de prise d'effet. Cette requalification a pour effet d'assimiler la rupture de la relation de travail, intervenue du fait de la liquidation judiciaire, à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour a donc alloué au salarié une indemnité de requalification, une indemnité de préavis, et des dommages-intérêts pour licenciement abusif dont le montant a été fixé en application du barème prévu à l'article L.1235-3 du Code du travail (dit "barème Macron"). Enfin, la créance salariale a été fixée au passif de la liquidation et déclarée opposable à l'AGS dans les limites des plafonds légaux.
Mots clés
CDD d'usage sportif, Requalification, Droit de l'Union européenne, Directive 1999/70/CE, Novation, Force obligatoire du contrat, Contrôle de conventionalité, Licenciement sans cause réelle et sérieuse, Garantie AGS, Code du sport.