Résumé
En bref
La proposition de loi n° 456 présentée par M. Laurent LAFON, Sénateur, fait suite au rapport de la mission d'information sur la “financiarisation” du football professionnel conduite en 2024. Elle vise à réformer en profondeur l'organisation et la gouvernance du sport professionnel français, notamment dans un contexte de crise des droits audiovisuels et de déséquilibre économique croissant entre les clubs. Le texte propose des mesures pour renforcer le contrôle des ligues professionnelles, améliorer la transparence dans la gestion des sociétés commerciales liées aux ligues, limiter les inégalités financières entre clubs, et lutter efficacement contre le piratage sportif. La proposition s'articule autour de 12 articles structurés en trois chapitres, avec des dispositions spécifiques sur le fondement des articles L. 333-1 et suivants du Code du sport.
En détail
Contexte et motivations de la proposition
Cette proposition de loi intervient dans un contexte particulièrement difficile pour le sport professionnel français, et plus spécifiquement pour le football. Comme exposé dans les motifs, depuis le départ de Mediapro en 2020, le modèle économique du football professionnel, fortement dépendant des droits TV, est remis en question. Le rapport "Football-business : stop ou encore ?" de la mission d'information présidée par M. Laurent LAFON met en évidence plusieurs problématiques :
- La raréfaction des ressources issues de la commercialisation des droits audiovisuels
- L'accentuation des inégalités économiques entre clubs
- Des problèmes structurels de gouvernance et des conflits d'intérêts
- L'instabilité des diffuseurs entraînant une diminution du nombre de téléspectateurs
- L'amplification du piratage des contenus sportifs (estimé à 290 M€ de manque à gagner en 2023 selon l'Arcom)
- L'impact de l'arrêt de la CJUE du 4 octobre 2024 remettant en cause certaines règles du marché des transferts
La situation continue de s'aggraver avec des relations tendues entre la LFP et ses diffuseurs (DAZN et beIN), ces derniers ayant la possibilité de rompre leur contrat dès 2026. En février 2025, DAZN n'a honoré que la moitié de son échéance de paiement, plongeant le football professionnel dans une incertitude financière.
Analyse des mesures proposées
Chapitre Ier : Améliorer l'organisation du sport professionnel (Articles 1 à 8)
L'article 1er renforce les obligations des ligues professionnelles, notamment par :
- L'obligation de remettre un rapport annuel au ministre chargé des sports sur l'exercice de leur subdélégation
- La limitation de la rémunération des dirigeants et salariés au plafond applicable au président du conseil d'administration d'un établissement public de l'État à caractère industriel et commercial
- L'instauration d'une incompatibilité entre la fonction de dirigeant ou de membre de l’organe délibérant de ligue et la détention d'intérêts ou l’exercice de fonctions dans une entreprise de diffusion audiovisuelle
L'article 2 prévoit des modalités de retrait ou de non-renouvellement de la subdélégation octroyée aux ligues professionnelles dans plusieurs cas précis :
"1° En cas de défaillance grave dans l'exercice des prérogatives subdéléguées ;2° En cas d'atteinte à l'ordre public ou à la moralité publique ;3° En cas de manquement aux obligations résultant du présent code ou de la convention mentionnée au premier alinéa du présent I ;4° En cas de difficulté sérieuse de financement des activités sportives à caractère professionnel des associations qui lui sont affiliées et des sociétés sportives ;5° Pour tout autre motif justifié par l'intérêt général qui s'attache à la promotion et au développement des activités physiques et sportives."
En cas de dissolution de la ligue (entraînée par le retrait de la subdélégation ou son non-renouvellement dans un délai de deux mois suivant le terme de la convention qui l’organise), ses biens seraient transférés à la fédération sportive délégataire, avec possibilité pour celle-ci de céder tout ou partie du capital social de la société commerciale aux sociétés sportives.
L'article 3 associe les associations de supporters à la gouvernance du sport professionnel, en leur donnant une voix consultative au sein des instances dirigeantes.
L'article 4 précise les modalités de création et de fonctionnement des sociétés commerciales créées par les ligues pour la commercialisation des droits d'exploitation. Il donne à la fédération une voix délibérative (et non plus consultative) au sein de cette société et renforce le contrôle sur la cession de parts à des actionnaires minoritaires, en précisant notamment que le droit de consentir à l'organisation de paris sportifs ne doit générer aucun revenu pour ces investisseurs.
L'article 5 modifie les conditions de commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle en permettant que les droits soient cédés "en un ou plusieurs lots au choix de l'entité cédante", et non plus obligatoirement avec constitution de lots.
L'article 6 introduit la possibilité pour une fédération de créer une société commerciale l'associant aux sociétés sportives auxquelles elle a cédé la propriété des droits audiovisuels. Chaque club disposerait d'un droit de vote égal au sein de cette société, la fédération ayant la possibilité de s'opposer à certaines décisions.
L'article 7 prévoit que la fédération fixe "un écart maximal de distribution des revenus entre les sociétés sportives", afin de limiter les inégalités entre clubs.
L'article 8 renforce les obligations de déclaration d'intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), en les étendant aux membres du conseil d'administration et aux directeurs généraux des ligues, ainsi qu'aux membres de l'organe délibérant et aux dirigeants des sociétés commerciales commercialisant les droits d'exploitation.
Chapitre II : Mieux contrôler la gestion des ligues et des sociétés sportives (Article 9)
L'article 9 instaure un contrôle de la Cour des comptes sur les ligues professionnelles et sur les sociétés commerciales créées par une ligue ou par une fédération. Il rattache également le contrôle de gestion des clubs à la fédération sportive plutôt qu'à la ligue professionnelle et renforce les pouvoirs de l'organisme de contrôle sur les projets de cession des clubs.
Chapitre III : Renforcer la lutte contre le piratage des contenus sportifs (Articles 10 à 12)
L'article 10 constitue une avancée majeure dans la lutte contre le piratage sportif en permettant à l'Arcom de :
- Mettre en place un système automatisé assurant le blocage en temps réel des diffusions illicites pendant les événements sportifs
- Communiquer aux signataires des accords volontaires anti-piratage une liste des services de communication en ligne faisant l'objet de mesures de blocage
L'article introduit également des délits spécifiques inspirés de l'infraction de contrefaçon de droit d'auteur, avec des peines allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende pour :
"I. - [...] le fait de concevoir, d'éditer ou de mettre à la disposition du public, à titre onéreux ou à titre gratuit, un service de communication au public en ligne diffusant une compétition ou une manifestation sportive, sans l'autorisation..."
Ces peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende en cas de commission en bande organisée.
L'article 11 étend l'application des articles L. 333-10 à L. 333-13 aux territoires ultramarins (îles Wallis et Futuna, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie).
Enfin, l'article 12 prévoit la compensation des éventuelles conséquences financières de la proposition de loi pour l'État par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs.
Innovations juridiques et répercussions potentielles
Cette proposition de loi apporte plusieurs innovations significatives :
- Un renforcement du rôle des fédérations par rapport aux ligues professionnelles, notamment en rattachant le contrôle de gestion des clubs directement à la fédération
- Une flexibilisation de la commercialisation des droits audiovisuels avec la possibilité de choisir entre un ou plusieurs lots, permettant potentiellement de s'adapter à l'évolution du marché
- L'introduction d'un mécanisme de plafonnement des écarts de revenus entre clubs, inspiré de modèles étrangers comme la Premier League anglaise
- La mise en place d'un système automatisé de blocage en temps réel des sites diffusant illégalement des événements sportifs, représentant une avancée majeure dans la lutte contre le piratage
- L'introduction de nouveaux délits spécifiques au piratage sportif avec des sanctions pénales significatives
Les répercussions potentielles de cette proposition de loi sont multiples :
- Une modification profonde de l'équilibre des pouvoirs entre fédérations, ligues et clubs
- Une sécurisation potentielle des revenus issus des droits audiovisuels
- Un rééquilibrage financier entre les différents clubs professionnels
- Un renforcement de la lutte contre le piratage qui pourrait contribuer à préserver la valeur des droits audiovisuels
- Une transparence accrue dans la gestion des droits d'exploitation, notamment par l'intervention de la Cour des comptes
Mots clés
Droits d'exploitation audiovisuelle, subdélégation, société commerciale, gouvernance sportive, ligues professionnelles, fédérations sportives, piratage sportif, commercialisation des droits, contrôle de gestion, transparence financière