23/00847
Résumé
En bref
Le Tribunal judiciaire de Bordeaux, dans un jugement du 8 juillet 2025, a considéré qu'un "défraiement forfaitaire" mensuel versé à un entraîneur constituait une obligation contractuelle ferme en application de l'article 1103 du Code civil. Le tribunal a condamné un club sportif à verser les sommes dues jusqu'au terme du contrat initial, retenant une rupture fautive de ses obligations sur le fondement de l'article 1217 du Code civil. Il a cependant rejeté la demande de l'entraîneur pour la période postérieure, faute de preuve d'une reconduction tacite du contrat.
En détail
Les parties et l’objet du litige
L'affaire oppose M. [D] [Z], entraîneur de football, à l'association CLUB SPORTIF LANTONNAIS. Le litige porte sur l'exécution d'un protocole d'accord confiant à M. [Z] la fonction d'entraîneur principal en contrepartie d'un "défraiement forfaitaire" mensuel, et sur la nature de leur collaboration après l'échéance de cet accord.
Principaux problèmes juridiques et question centrale
Les enjeux juridiques principaux concernent la qualification d'une somme versée par un club à son entraîneur (défraiement forfaitaire ou rémunération déguisée), la portée des obligations contractuelles et les conditions de la reconduction tacite d'un contrat dans le milieu sportif amateur.
La question centrale était de déterminer si le "défraiement forfaitaire" constituait une obligation de paiement ferme et si l'accord initial avait été tacitement reconduit pour une saison supplémentaire aux mêmes conditions financières.
Résumé du litige, faits et arguments
En juin 2018, les parties signent un protocole pour trois saisons (2018-2021) prévoyant le versement d'un défraiement forfaitaire de 1 500 € par mois à l'entraîneur. Le club cesse les versements en février 2021, soit cinq mois avant la fin du contrat, et met fin à la collaboration en avril 2022.
M. [Z] (l'entraîneur) soutenait que cette somme était une obligation contractuelle ferme, indépendante de la production de justificatifs. Il affirmait que le contrat avait été verbalement reconduit pour la saison 2021-2022 et réclamait le paiement des sommes dues jusqu'à la rupture, ainsi que des dommages-intérêts.
Le Club Sportif Lantonnais arguait que la somme était un simple plafond de remboursement de frais pour un bénévole et non une rémunération, qui aurait été illicite au regard de l'article L. 212-1 du Code du sport, l'entraîneur n'ayant pas les diplômes requis. Le club niait toute reconduction tacite, invoquant la suspension des activités due à la pandémie et le statut de bénévole de l'entraîneur sur sa licence 2021-2022.
Plan et motivation de la décision
Le tribunal a structuré sa décision en analysant successivement la nature du versement, la période contractuelle initiale, puis la période postérieure à l'échéance du contrat.
- Sur la qualification du versement mensuel
- Sur la période d'exécution jusqu'en juin 2021
- Sur la période postérieure au 1er juillet 2021
Le tribunal a d'abord qualifié la nature juridique de la somme de 1 500 €. Sur le fondement de l'article 1103 du Code civil, qui dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, le juge a constaté que le protocole prévoyait un "défraiement forfaitaire" sans le conditionner à la production de justificatifs. L'exécution du contrat pendant plus de deux ans, durant lesquels le club a payé la somme sans jamais exiger de preuves de dépenses, a été interprétée comme la preuve de la commune intention des parties d'en faire une obligation forfaitaire et non un remboursement "au réel".
Face à l'argument du club fondé sur l'article L. 212-1 du Code du sport, le tribunal a jugé que la somme était bien un défraiement et non une rémunération. Il a relevé qu'aucun lien de subordination ou contrat de travail n'était établi, écartant ainsi la présomption de travail dissimulé. Le juge a souligné que le club ne pouvait se prévaloir d'une illégalité (l'absence de contrat de travail en règle) pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles. La somme de 1 500 € a donc été reconnue comme une obligation contractuelle obligatoire.
Le contrat initial s'étendait jusqu'au 30 juin 2021. Le tribunal a jugé que l'arrêt des paiements par le club dès février 2021 constituait un manquement à ses obligations. Sur le fondement de l'article 1217 du Code civil relatif à l'inexécution contractuelle, ce manquement ouvre droit à réparation pour l'entraîneur. L'argument de la suspension des compétitions due à la pandémie a été écarté, car le protocole ne liait pas le paiement à la tenue effective des matchs, et il a été prouvé que des entraînements avaient été maintenus. Le préjudice a été évalué à 7 500 €, correspondant aux cinq mois impayés.
Pour la saison 2021-2022, le tribunal a constaté qu'aucun accord écrit n'avait été signé. La demande de M. [Z] reposait sur une prétendue reconduction tacite verbale. Le juge a rejeté cet argument, s'appuyant sur plusieurs éléments : la licence fédérale de l'entraîneur pour cette saison mentionnait un statut de bénévole, une attestation produite en sa faveur n'était pas conforme aux exigences de l'article 202 du Code de procédure civile, et les rares versements effectués par le club durant cette période l'ont été sur présentation de justificatifs, ce qui rompait avec le principe du forfait. Faute de preuve d'un nouvel accord, les demandes de l'entraîneur pour cette période ont été rejetées.
Extrait de la décision :
"Car le Club, qui n'a ni régularisé de contrat de travail ni versé de bulletins de paie, ne saurait utilement invoquer une illégalité dont il serait le corollaire s'il y avait lieu."
Points de droit et répercussions
- Qualification du défraiement : La décision réaffirme que la qualification de "défraiement forfaitaire" dans un contrat lie les parties, et que son caractère forfaitaire est confirmé par une exécution sans demande de justificatifs sur une longue période.
- Opposabilité de sa propre turpitude : Un club ne peut invoquer l'illégalité potentielle d'une situation (absence de contrat de travail conforme au Code du sport) qu'il a lui-même créée pour échapper à ses obligations financières contractuelles.
- Charge de la preuve : Il incombe à celui qui se prévaut d'une reconduction tacite d'un contrat d'en rapporter la preuve formelle, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
- Force majeure : La suspension des compétitions due à la pandémie n'exonère pas une partie de ses obligations de paiement si le contrat ne le prévoit pas explicitement.
Mots clés
défraiement forfaitaire, contrat d'entraîneur, article L. 212-1 du Code du sport, obligation contractuelle, reconduction tacite, charge de la preuve, article 1103 du Code civil, rupture de contrat, bénévolat, exécution du contrat