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Résumé
En bref
Dans l'affaire Thomaidis c. Grèce, la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a conclu que la sanction civile infligée à un journaliste pour avoir diffusé illégalement des informations confidentielles dans le cadre d'une enquête criminelle en cours sur des allégations de manipulation de matchs ne constituait pas une violation de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, relatif à la liberté d'expression.
En détail
Dans cette affaire, l'appelant, M. Kyriakos Thomaidis est un journaliste qui a diffusé des enregistrements de conversations interceptées illégalement et des déclarations de témoins provenant d'une enquête criminelle en cours sur des allégations de manipulation de matchs. Ceux-ci impliquaient V.M., une personnalité publique dans le football grec.
Deux questions juridiques se sont donc posées :
- Le fait de diffuser, lors des émissions en cause, des témoignages ressortant du dossier pénal, encore au stade d’instruction, et dans lequel V.M. était accusé est-il pertinent dans l’appréciation de l’ingérence à l’exercice de l’article 10 ?
- La condamnation du requérant au civil pour atteinte à la personnalité de V.M. et sa condamnation au paiement de 10 000 euros a-t-elle porté atteinte à l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme ?
La Cour a jugé que, bien que la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique, les journalistes doivent agir en bonne foi pour fournir des informations précises et fiables conformément aux principes du journalisme responsable.
S’agissant de la diffusion d’éléments du dossier d’instruction, la Cour a cependant considéré que cette diffusion, ne respectait pas ces principes car :
"33. […] le demandeur n'a fait aucun effort dans le programme d'octobre pour contextualiser les informations sur les allégations contre V.M. dans une discussion plus large et informée sur l'enquête sur les cas de trucage de matchs. Il en va de même, comme l'ont souligné les tribunaux internes, pour le programme de novembre, que le demandeur a préparé en sachant à l'avance non seulement le litige entre les deux hommes, mais aussi le contenu clé de la contribution de A.K., comme le suggère l'annonce faite avant la diffusion (voir paragraphe 8 ci-dessus). De plus, la Cour note que le demandeur ne prétend pas avoir tenté de donner à V.M. l'occasion de réagir aux accusations portées contre lui et qu'il a permis à A.K. de lire in extenso les comptes rendus des conversations interceptées sans introduire aucune tentative d'équilibrer les points de vue négatifs qu'ils contiennent.”
Ainsi, en raison de l’absence de contradictoire entre les différentes parties et en raison de ce contexte orienté (vu également la “querelle personnelle” entre le journaliste et V.M.), la Cour a jugé que “le demandeur visait une couverture sensationnaliste du rôle présumé de V.M. dans le trucage de matchs et invitait les téléspectateurs à tirer une conclusion prédéterminée sur sa culpabilité.”
S’agissant enfin de la condamnation, l'ordre de payer des dommages a été fait en matière civile. Les tribunaux ont fait référence à des faits spécifiques pour évaluer le montant. Ils ont considéré la diffusion nationale du programme, son large public, et le préjudice à la réputation de V.M. Dès lors, la Cour a estimé que ces motifs justifient la proportionnalité des 10.000€ de dommages-intérêts accordés.
Cette décision confirme donc que, bien que la liberté d'expression soit un droit fondamental, elle peut être limitée lorsqu'elle interfère avec d'autres droits et intérêts légitimes, tels que le droit à la vie privée, le droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence.
Mots clés
Liberté d'expression, Liberté de la presse, Journalisme, Journaliste, Journaliste responsable, Interception illégale, Diffusion d'informations confidentielles, Vie privée, Procès équitable, Manipulation de matchs, Trucage, Dommages civils, Présomption d’innocence, Droit au respect de la vie privée, Bonne foi, Instruction, Secret de l’instruction