C-605/22
Résumé
En bref
L'avocat général Maciej Szpunar a présenté ses conclusions le 30 avril 2024 dans l'affaire C-650/22 opposant la FIFA à un ancien footballeur professionnel devant la Cour de justice de l'Union européenne, sur question préjudicielle de la Cour d'appel de Mons (Belgique).
Il a examiné si certaines règles de la FIFA sur les transferts de joueurs (indemnisation, sanctions sportives, délivrance d'un certificat international de transfert) en cas de rupture de contrat sans juste cause sont contraires aux articles 45 et 101 TFUE et à l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE.
L'avocat général propose à la Cour de répondre que :
- L'article 101 TFUE s'oppose aux dispositions litigieuses lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, à moins qu'il ne soit démontré qu'elles sont à la fois justifiées par un objectif légitime et strictement nécessaires.
- L'article 45 TFUE s'oppose aux dispositions litigieuses :
- qui prévoient la responsabilité solidaire du nouveau club, sauf s'il peut être prouvé qu'il est possible d'écarter ce principe pour un club non impliqué dans la rupture ;
- qui permettent de refuser le Certificat International de Transfert sur simple allégation de rupture fautive, sauf s'il peut être prouvé que des mesures provisoires rapides et efficaces peuvent être prises.
- L'analyse sous l'article 15 de la Charte n'ajoute rien à celle sous l'article 45 TFUE.
En détail
Les parties au litige sont :
- Lassana Diarra, un ancien footballeur professionnel résidant en France
- La FIFA, association de droit suisse regroupant les fédérations nationales de football
- Le Sporting de Charleroi, club belge qui souhaitait engager le joueur
Le litige porte sur le préjudice que le joueur estime avoir subi du fait de l'application par la FIFA de certaines règles du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de 2014 :
- L'article 9.1 subordonne l'enregistrement d'un joueur auprès d'une nouvelle fédération à la délivrance d'un Certificat International de Transfert (CIT) par l'ancienne fédération.
- L'article 17 prévoit qu'en cas de rupture de contrat sans juste cause, la partie fautive doit payer une indemnité. Le nouveau club du joueur est solidairement responsable du paiement et encourt une interdiction de recrutement pendant deux périodes d'enregistrement.
Les faits :
En août 2014, le Lokomotiv Moscou, club russe, a résilié le contrat de 4 ans signé avec le joueur et l'a assigné devant la FIFA pour obtenir une indemnité de 20M€ pour rupture sans juste cause.
Le joueur a eu des difficultés à trouver un nouveau club en raison du risque de sanctions. Le Sporting Charleroi lui a fait une offre conditionnée à son enregistrement et à la confirmation que le club ne serait pas solidairement responsable d'une éventuelle indemnité. La FIFA et la fédération belge ont refusé de donner ces confirmations.
La chambre de résolution des litiges de la FIFA puis le TAS ont condamné le joueur à payer 10,5M€ d'indemnité au Lokomotiv, en jugeant que l'article 17.2 ne s'appliquerait pas pour l'avenir. Le joueur a finalement signé à l'Olympique de Marseille en juillet 2015.
Diarra a assigné la FIFA et la fédération belge devant les juridictions belges pour obtenir réparation de son préjudice de 6M€ dû à l'application des règles litigieuses qu'il estime contraires au droit de l'UE. Condamnées en 1ère instance, la FIFA et la fédération belge ont fait appel.
La Cour d'appel de Mons a alors posé une question préjudicielle à la CJUE sur la compatibilité des articles 9.1 et 17 du RSTJ avec les articles 45 (libre circulation des travailleurs) et 101 (interdiction des ententes) TFUE et l'article 15 de la Charte (liberté professionnelle).
L'avocat général Maciej Szpunar a examiné la compatibilité des dispositions litigieuses du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA avec :
- L'article 45 du TFUE sur la libre circulation des travailleurs
- L'article 101 du TFUE sur l'interdiction des ententes
- L'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE sur la liberté professionnelle
1. Sur la compatibilité avec l'article 45 TFUE
L'avocat général considère que les dispositions litigieuses constituent une restriction à la libre circulation des travailleurs car :
- La responsabilité solidaire du nouveau club au paiement de l'indemnité de rupture de contrat sans juste cause est de nature à décourager les clubs d'engager le joueur par crainte d'un risque financier.
- L'interdiction d'enregistrer de nouveaux joueurs pendant deux périodes d'enregistrement pour le nouveau club a le même effet dissuasif.
- La non-délivrance du Certificat International de Transfert (CIT) peut empêcher un joueur d'exercer sa profession dans un club d'un autre État membre.
Ces règles ont effectivement empêché le joueur, de nationalité française, d'exercer son activité en Belgique.
L'avocat général examine ensuite si ces restrictions peuvent être justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général. Il admet que l'objectif de maintenir la stabilité contractuelle et un certain équilibre compétitif entre les clubs peut constituer une telle raison.
Cependant, il doute que les dispositions litigieuses soient proportionnées à cet objectif :
- Si le paiement d'une indemnité de rupture semble approprié, son calcul ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour indemniser le préjudice.
- Engager systématiquement la responsabilité solidaire du nouveau club, même s'il n'a pas incité à la rupture, va au-delà du nécessaire. La présomption d'incitation semble draconienne.
- Le risque de refus du CIT sur simple allégation de rupture fautive, sans réel contrôle, est aussi disproportionné.
En synthèse, l'avocat général considère que les dispositions litigieuses sont contraires à l'article 45 TFUE, sauf s'il peut être prouvé qu'il est réellement possible d'écarter la responsabilité solidaire du nouveau club innocent et de délivrer le CIT par des mesures rapides et efficaces.
2. Sur la compatibilité avec l'article 101 TFUE
L'avocat général rappelle que les dispositions litigieuses constituent des décisions d'associations d'entreprises susceptibles d'affecter le commerce entre États.
Il estime qu'elles ont un objet anticoncurrentiel car, par leur nature même, elles limitent la possibilité pour les joueurs de changer de clubs et pour les clubs de recruter des joueurs en cas de rupture sans juste cause.
Elles affectent donc la concurrence sur le marché de l'acquisition des joueurs, paramètre essentiel de la concurrence entre clubs.
À titre subsidiaire, il considère qu'elles ont à tout le moins un effet restrictif de concurrence, comme le montre leur effet dissuasif reconnu par la FIFA.
Il écarte la possibilité d'une exemption au titre de l'article 101(3) TFUE, dont les conditions ne sont manifestement pas remplies.
En synthèse, l'avocat général estime que l'article 101(1) TFUE s'oppose aux dispositions litigieuses, sauf si, dans l'hypothèse où elles seraient seulement restrictives par effet, il était démontré qu'elles sont à la fois justifiées par un objectif légitime et strictement nécessaires, ce qui rejoint l'analyse sous l'article 45 TFUE.
3. Sur la compatibilité avec l'article 15 de la Charte
L'avocat général considère que la FIFA, bien que personne privée, doit respecter la Charte lorsqu'elle édicte des règles entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, par analogie avec les États membres.
Il estime que le droit de choisir et d'exercer une profession prévu à l'article 15(1) est fonctionnellement équivalent à la libre circulation prévue à l'article 45 TFUE. Les dispositions litigieuses affectant l'exercice de la profession de footballeur relèvent donc du champ de l'article 15(1).
Examinant si les restrictions peuvent être justifiées au regard de l'article 52(1) de la Charte, il admet, non sans réserves, que le RSTJ de la FIFA peut être considéré comme une "loi" au sens de cette disposition.
Pour le reste, le contrôle de proportionnalité rejoint celui mené au titre de l'article 45 TFUE.
En synthèse, l'analyse de la compatibilité avec l'article 15(1) de la Charte n'ajoute rien de plus que celle menée au titre de l'article 45 TFUE.
Conclusions de l'avocat général
En conclusion, l'avocat général Maciej Szpunar propose à la Cour de justice de répondre que :
- L'article 101 TFUE s'oppose aux dispositions litigieuses lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, à moins qu'il ne soit démontré qu'elles sont à la fois justifiées par un objectif légitime et strictement nécessaires.
- L'article 45 TFUE s'oppose aux dispositions litigieuses :
- qui prévoient la responsabilité solidaire du nouveau club, sauf s'il peut être prouvé qu'il est possible d'écarter ce principe pour un club non impliqué dans la rupture ;
- qui permettent de refuser le Certificat International de Transfert sur simple allégation de rupture fautive, sauf s'il peut être prouvé que des mesures provisoires rapides et efficaces peuvent être prises.
Mots clés
Règlement FIFA sur les transferts de joueurs, RSTJ, Rupture de contrat sans juste cause, Indemnité et sanctions sportives, Entrave à la libre circulation des footballeurs dans l'UE, Question préjudicielle à la CJUE