458088, 459547, 463408
Résumé
En bref
Le Conseil d'Etat a rejeté les requêtes visant à autoriser le port du hijab et à contester l'interdiction par la Fédération française de football (FFF) du port pendant les matchs de "tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale". Le Conseil d'Etat a jugé que les fédérations sportives pouvaient imposer une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions pour prévenir tout affrontement ou confrontation.
En détail
Le Conseil d'Etat a été saisi par deux associations demandant que le port du hijab soit autorisé par la Fédération française de football (FFF), ainsi que par la Ligue des droits de l'homme qui contestait l'interdiction du port pendant les matchs de "tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale". Le Conseil d'Etat juge que les fédérations sportives, chargées d'assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée, peuvent imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives afin de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation. Il estime que l'interdiction édictée par la FFF est adaptée et proportionnée.
La Fédération française de football interdit par l'article 1er de ses statuts, "tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale" ainsi que "tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande", à l'occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la fédération ou en lien avec elle. La Ligue des droits de l'homme et deux associations ont demandé au Conseil d'État d'annuler cette interdiction.
Le Conseil d'État rappelle que le principe de neutralité du service public s'applique aux fédérations sportives qui sont en charge d'un service public. Leurs agents et plus largement toutes les personnes sur lesquelles elles ont autorité doivent s'abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions personnelles. Cette obligation de neutralité s'applique également à toutes les personnes sélectionnées dans une des équipes de France lors des manifestations et compétitions auxquelles elles participent.
Il est également de la responsabilité de ces fédérations de déterminer les règles de participation à leurs compétitions ou manifestations sportives, y compris en matière de tenue et d'équipement afin d'assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu. Si les licenciés ne sont pas soumis, contrairement aux agents des fédérations et aux joueurs des équipes de France, à l'obligation de neutralité, les règles de participation édictées par ces fédérations peuvent limiter leur liberté d'expression de leurs opinions et convictions pour garantir le bon fonctionnement du service public et la protection des droits et libertés d'autrui.
Le Conseil d'État juge que pour garantir le bon déroulement des matchs de football et éviter tout affrontement ou confrontation, la FFF pouvait édicter l'interdiction contestée. Il estime que cette interdiction est adaptée et proportionnée.
Sur la compétence du juge administratif, le Conseil d’état conclut :
9/ Par les dispositions litigieuses, la Fédération française de football doit être regardée comme ayant entendu fixer des règles applicables aux matchs des compétitions qu’elle organise ou des manifestations qu’elle autorise. Ces dispositions interdisent, pendant les matchs, outre les actes de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale. Alors même qu’elles ont été insérées dans ses statuts, ces dispositions sont prises par la Fédération en application des prérogatives de puissance publique qui lui sont conférées pour l’accomplissement de sa mission d’organisation des compétitions, et présentent dès lors un caractère administratif. Il s’ensuit que la Fédération n’est pas fondée à soutenir que le juge administratif ne serait pas compétent pour en connaître.
En ce qui concerne les agents de la Fédération française de football ou les personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, le Conseil d’état conclut :
11/ Il résulte du principe de neutralité du service public rappelé par les dispositions citées ci-dessus de la loi du 24 août 2021 qu’une fédération sportive délégataire de service public est tenue de prendre toutes dispositions pour que ses agents ainsi que les personnes qui participent à l’exécution du service public qui lui est confié, sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, s’abstiennent, pour garantir la neutralité du service public dont elle est chargée, de toute manifestation de leurs convictions et opinions. Il en va ainsi notamment des personnes que la Fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre et qui sont, dès lors, soumises au principe de neutralité du service public.
En ce qui concerne les autres licenciés de la Fédération française de football, le Conseil d’état conclut :
12/ Une fédération sportive délégataire dispose du pouvoir réglementaire dans les domaines définis par les dispositions législatives citées au point 6, pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié. À ce titre, il lui revient de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu, comme ce peut être le cas de la réglementation des équipements et tenues. Ces règles peuvent légalement avoir pour objet et pour effet de limiter la liberté de ceux des licenciés qui ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public, d’exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs.
13/ Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que la Fédération a pu légalement interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical » et « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande », qui sont de nature à faire obstacle au bon déroulement des matchs.
14/ Par ailleurs, l’interdiction du « port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », limitée aux temps et lieux des matchs de football, apparaît nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport. Dès lors, la Fédération française de football pouvait légalement, au titre du pouvoir réglementaire qui lui est délégué pour le bon déroulement des compétitions dont elle a la charge, édicter une telle interdiction, qui est adaptée et proportionnée.
Mots clés
sport, règles de participation, service public, liberté d'expression, neutralité, sécurité des joueurs, droits et libertés, laïcité