24/02341
Résumé
En bref
La Cour d'appel d'Amiens a rendu le 7 mai 2025 un arrêt infirmant partiellement la décision du Conseil de prud'hommes de Creil concernant un footballeur professionnel victime de travail dissimulé. La Cour a reconnu que l'employeur avait fictivement externalisé une partie de la rémunération du salarié auprès d'une entité sans activité propre, constituant une dissimulation d'emploi salarié au sens de l'article L. 8221-5 du Code du travail. Elle a condamné l'association Football Club à verser 32 940 euros d'indemnité pour travail dissimulé (6 mois de salaire) plus 2 000 euros de frais irrépétibles.
En détail
Parties impliquées
Demandeur : M. [H], né le 8 février 1982, footballeur professionnel embauché par contrat à durée déterminée du 10 janvier 2017 au 30 juin 2018.
Défendeur : Association Football Club de [Localité 3] - Oise, employeur du footballeur.
Entité connexe : Association Baby Football Club [Localité 3], entité juridique distincte ayant versé des sommes au footballeur.
Chronologie des faits
- 10 janvier 2017 : Embauche de M. [H] par l'association Football Club par contrat à durée déterminée jusqu'au 30 juin 2018, moyennant un salaire brut mensuel de 3 900 euros
- Même jour : Signature d'un protocole d'accord avec l'association Baby Football Club prévoyant des versements mensuels (frais de mobilité, contrat d'image, manifestations, frais de déplacement)
- Janvier 2023 : M. [H] reçoit un avis de redressement fiscal de 40 000 euros sur ses revenus de 2017 et 2018
- 27 avril 2023 : Saisine du Conseil de prud'hommes de Creil
- 6 mai 2024 : Jugement déboutant M. [H] de l'intégralité de ses demandes
- 7 mai 2025 : Arrêt de la Cour d'appel d'Amiens infirmant partiellement la décision
Questions juridiques posées
La décision soulève une question juridique principale : La qualification de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié dans le cadre d'une externalisation fictive de rémunération.
Analyse juridique exhaustive
1. Cadre juridique applicable
La Cour s'appuie sur les dispositions suivantes du Code du travail :
- Article L. 8221-1 : prohibant le travail totalement ou partiellement dissimulé
- Article L. 8221-3 : définissant la dissimulation d'activité
- Article L. 8221-5 : définissant la dissimulation d'emploi salarié comme "le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salariés ou aux cotisations sociales"
- Article L. 8223-1 : prévoyant le droit du salarié à "une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire" en cas de travail dissimulé
2. Faits pertinents analysés par la Cour
La Cour a examiné plusieurs éléments factuels déterminants :
Le dispositif contractuel : Existence de deux contrats distincts, l'un avec le Football Club (salaire de 3 900 euros bruts mensuels) et l'autre avec l'association Baby Football Club (diverses prestations totalisant environ 1 590 euros supplémentaires).
Les constatations de l'administration fiscale : La Cour relève que l'administration fiscale a établi que "ni l'association Baby football [Localité 3] ni M. [H] n'ont fourni de contrat de travail relatif aux sommes versées" et que "l'association Baby football [Localité 3] n'a déclaré aucun salarié auprès de l'URSSAF".
L'analyse de l'activité réelle : L'administration fiscale a démontré que "ces sommes concernent l'activité du FC [Localité 3] (les licences des jeunes sont payées au FC [Localité 3] et non au Baby football [Localité 3], les autres recettes à l'origine de ces versements proviennent des partenaires du FC [Localité 3])".
3. Raisonnement juridique de la Cour
La Cour développe un raisonnement en trois temps pour caractériser la dissimulation d'emploi salarié.
Première étape - Analyse de la fictivité du dispositif : La Cour établit que malgré l'existence formelle de deux personnes morales distinctes selon le répertoire SIRENE, le dispositif était fictif. Elle constate que l'association Baby Football Club était "une entité juridique sans activité propre" utilisée pour externaliser artificiellement une partie de la rémunération due au salarié.
Deuxième étape - Caractérisation de l'intention délibérée : La Cour analyse l'intentionnalité de la dissimulation en relevant que "l'association Football club de [Localité 3] - Oise a fictivement externalisé une partie de la rémunération due au salarié en contrepartie du travail pour lequel elle l'avait embauché". Cette externalisation fictive avait pour conséquence "une exonération indue de charges sociales".
Troisième étape - Rejet de la défense de l'employeur : La Cour écarte l'argument de l'employeur selon lequel il ne pouvait être reproché une dissimulation intentionnelle en raison de l'existence d'entités juridiques distinctes. Elle affirme que "l'employeur ne peut valablement prétendre qu'il n'a pas volontairement procédé à la dissimulation d'emploi salarié".
Quatrième étape - Application du régime indemnitaire : La Cour applique l'article L. 8223-1 du Code du travail en précisant que "M. [H], dont il n'est pas soutenu qu'il a participé à cette dissimulation, est donc en droit de percevoir une indemnité de 6 mois de salaire". Elle calcule cette indemnité sur la base d'un salaire mensuel de 5 490 euros (incluant une partie des sommes versées par l'association Baby Football Club), soit 32 940 euros.
4. Extrait pertinent sur la question juridique
Extrait de la décision
"Il résulte de ces éléments que l'association Football club de [Localité 3] - Oise a fictivement externalisé une partie de la rémunération due au salarié en contrepartie du travail pour lequel elle l'avait embauché, auprès d'une entité juridique sans activité propre, ce qui a conduit à une exonération indue de charges sociales. Au vu du dispositif mis en place, l'employeur ne peut valablement prétendre qu'il n'a pas volontairement procédé à la dissimulation d'emploi salarié visée par l'article L.8221-5 précité."
Extrait principal général de la décision
Extrait de la décision
"L'article L.8221-5 du même code prévoit notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salariés ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales."
Points de droit importants et répercussions
Cette décision présente plusieurs enseignements juridiques majeurs :
Caractérisation du travail dissimulé : La Cour établit que l'utilisation d'une entité juridique distincte mais sans activité propre pour externaliser fictivement une partie de la rémunération constitue une dissimulation d'emploi salarié.
Intention délibérée : L'arrêt démontre que l'existence formelle de personnes morales distinctes ne suffit pas à écarter la qualification de travail dissimulé si le dispositif est fictif et vise à éluder les charges sociales.
Protection du salarié : La décision confirme que le salarié non complice de la dissimulation bénéficie de la protection légale et a droit à l'indemnité forfaitaire de six mois de salaire.
Calcul de l'indemnité : La Cour intègre dans le calcul de l'indemnité une partie des sommes versées par l'entité fictive lorsque leur caractère mensuel est établi.
Mots clés
Travail dissimulé, dissimulation d'emploi salarié, footballeur professionnel, externalisation fictive, indemnité forfaitaire, charges sociales, entité juridique distincte, redressement fiscal, convention collective du sport, Code du travail