22/00106
Résumé
En bref
La Cour d'appel d'Angers (arrêt du 5 juin 2025, n°22/00106) retient que M. [KB] était titulaire d’un contrat de travail avec la société [Localité 3] SCO, eu égard à l’exercice de fonctions techniques distinctes et à l’existence d’un lien de subordination, sur le fondement de l’article L.1411-1 du Code du travail. Elle constate que le licenciement repose sur une faute grave (article L.1235-1 du même code), privant M. [KB] du bénéfice du préavis et de l’indemnité correspondante, mais lui alloue une indemnité contractuelle réduite à 1 200 000 € et 900 000 € au titre des primes de transfert. Le jugement prud’homal est partiellement infirmé.
En détail
Les parties opposent la société anonyme [Localité 3] SCO, club de football professionnel (appelante), à M. [KD] [KB], ancien "manager général" (intimé). Le différend porte sur la qualification du lien contractuel entre les parties et sur la validité, la cause et les effets du licenciement de M. [KB], notifié pour faute grave.
1. Principaux problèmes et question juridique
Le litige pose deux questions majeures :
- Existence d’un contrat de travail entre le club et son “manager général” également administrateur, ouvrant la compétence du conseil de prud’hommes (sur le fondement de l’article L.1411-1 du Code du travail).
- Licéité et portée du licenciement pour faute grave, touchant tant le sort des indemnités de rupture que celui des accessoires (primes et dommages et intérêts).
2. Exposé des faits et arguments
Faits principaux : Engagement de M. [KB] en qualité de manager général par contrat du 21 juillet 2006 (modifié en 2008 et 2019). Licenciement notifié en avril 2020, pour faute grave (propos dénigrants envers le président et le coach, et signature de documents engageant le club sans pouvoir ni délégation). M. [KB] saisit les prud’hommes ; le club soulève la nullité du contrat de travail et l’absence de lien de subordination, contestant la compétence prud’homale. Arguments principaux du club :
- M. [KB] n’était, selon elle, que mandataire social sans lien de subordination ni fonctions techniques distinctes, rendant nul le contrat de travail et inapplicables les demandes prud’homales.
- Le licenciement serait fondé sur des fautes graves rendant indus toute indemnité, y compris les primes de transfert.
Arguments de M. [KB] :
- Il invoque la distinction des fonctions salariées et de mandataire, la subordination, la régularité des avenants et contrats, et l’abus dans la procédure de licenciement.
3. Plan et motivations de la décision
A. Sur la compétence prud’homale et la validité du contrat
Sur le fondement de l’article L.1411-1 du Code du travail, la Cour constate, après analyse minutieuse des fonctions exercées, que M. [KB] assumait bien des tâches techniques autonomes (gestion sportive, administrative, négociation de transferts, recrutement...) avec un contrôle effectif de l’employeur, matérialisant un lien de subordination, condition déterminante de la qualité de salarié (référence à l’article 8221-6 du même code et à la jurisprudence). Les actions entreprises à titre d’administrateur ne faisaient pas obstacle à l’exécution d’un contrat de travail, dès lors que subsistaient des missions salariées distinctes. La Cour précise enfin que “l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée ni de la dénomination, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité” (cf. jurisprudence constante).
Extrait de la décision
"Il est constant que M. [KB] exerçait les fonctions de dirigeant selon lui, de co-dirigeant selon la société, mais les fonctions techniques excédant celles d’un administrateur et relevant du salariat étaient bien présentes."
Concernant la validité de l’avenant du 1er janvier 2019, la Cour juge (sur le fondement des articles L.225-38 et L.225-42 du Code de commerce) que son absence d’autorisation préalable ne cause pas de préjudice à la société, ni ne justifie sa nullité, le contrat poursuivant un partenariat conforme au marché.
B. Sur le licenciement et ses conséquences
La Cour, sur le fondement des articles L.1235-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1234-9 du Code du travail, retient la réalité des griefs reprochés à M. [KB] :
- Dénigrement avéré du président par témoignages concordants et datés.
- Outrepassement des pouvoirs : signature sans délégation de documents engageant financièrement le club, avérée par attestations, la violation des procédures internes étant confirmée.
Même s’il n’est pas démontré de préjudice économique, la gravité des faits (violation d'obligations essentielles, manquement à la loyauté et à la discipline contractuelle) est jugée suffisante pour caractériser une faute grave, justifiant la rupture sans préavis ni indemnité connexe.
Extrait de la décision
"Les deux griefs qui sont établis à son encontre lui sont imputables et constituent une violation des obligations résultant du contrat ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis."
C. Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement et les autres demandes
La clause contractuelle prévoyant une indemnité de 30 mois de salaire, même en cas de faute grave (article 11.1 de l’avenant du 11 mars 2008), est requalifiée en clause pénale sur le fondement de l’article 1152 du Code civil. Son montant est jugé “manifestement excessif” au regard de la situation concrète (ancienneté, faible préjudice du salarié) et ramené à 1 200 000 €.
Concernant les primes de transfert, la Cour valide, faute de justificatifs contraires du club, le montant réclamé par M. [KB] pour deux joueurs (900 000 €).
Les autres demandes (primes annuelles, dommages et intérêts pour licenciement abusif, pertes de chance) sont rejetées, faute de preuve ou d’assiette contractuelle.
D. Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions prud’homales sont confirmées s’agissant des frais (article 700 du Code de procédure civile), les dépens d’appel partagés par moitié.
Points de droit et répercussions
- Reconnaissance du contrat de travail pour un manager général, administrateur de club, pour autant que des fonctions salariées distinctes et un lien de subordination matériel sont établis.
- Application exigeante de la faute grave dans la gestion sportive, tout manquement à la loyauté ou à la discipline pouvant entraîner perte des indemnités traditionnelles, même en cas d’absence de préjudice direct.
- Précision jurisprudentielle sur la requalification des clauses d’indemnités contractuelles en clause pénale (réduction pour excès manifestement disproportionné).
- Sécurisation de la pratique contractuelle : nécessité de veiller à l’articulation entre mandat social et contrat salarié, à la validité des avenants, et à la preuve des prérogatives consenties.
Mots clés
contrat de travail sportif, lien de subordination, faute grave, clause pénale, indemnité conventionnelle, primes de transfert, conseil de prud’hommes, compétence juridictionnelle, nullité du contrat, dirigeants de clubs sportifs