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Résumé
En bref
La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, sur le fondement de l’article L. 222-2-1 du Code du sport, a jugé que le contrat litigieux devait être qualifié de CDD spécifique et que la rupture anticipée notifiée par l’employeur était entachée d’irrégularité, dans la mesure où la rupture avait été annoncée publiquement avant la notification écrite. En réformant partiellement la décision de première instance, la Cour écarte l’existence d’une faute grave et condamne l’employeur à payer diverses indemnités pour rupture abusive, à régulariser le statut cadre du salarié et à s’acquitter de la rémunération de la mise à pied, tout en rejetant la demande de dommages pour la dénomination erronée du contrat.
En détail
Les parties impliquées dans l'affaire sont la SASP ÉTOILE FOOTBALL CLUB [Localité 4] [Localité 5] (employeur, appelante) et M. [Z] [B] (entraîneur salarié, intimé). Le conflit résulte de la rupture anticipée, par l’employeur, du contrat d'entraîneur conclu sous la forme d’un CDD d’usage, au motif principal de l’absence de recyclage du diplôme de l’entraîneur. Les principaux problèmes juridiques portent sur la qualification et les conséquences du contrat, le respect de la procédure de rupture anticipée, la justification de la mise à pied conservatoire, la reconnaissance du statut cadre, et le montant des indemnités réparatrices dues à M. [Z] [B]. La question juridique principale est de savoir si la rupture anticipée du CDD spécifique d’entraîneur professionnel, dans les conditions exposées et au regard des textes applicables, pouvait être justifiée par une faute grave, et si la procédure disciplinaire initiée par l’employeur était régulière. Exposé du litige, faits et arguments des parties : L’employeur invoquait l’inexécution par l’entraîneur d’une obligation de recyclage inhérente au diplôme requis, qui empêchait l’exercice effectif de la fonction, et la diffusion publique par le salarié de propos diffamatoires nuisant à l’image du club. M. [Z] [B] contestait la qualification de ses actes en faute grave, dénonçait l’irrégularité de la procédure de rupture anticipée – la décision et la nomination d’un successeur ayant été annoncées dans la presse avant tout entretien disciplinaire –, et sollicitait diverses indemnités, la reconnaissance de son statut cadre, et la régularisation des cotisations afférentes. Plan et analyse des motifs de la Cour :
- Sur la qualification du contrat de travail :
Sur le fondement de l'article L. 222-2-1 du Code du sport, la Cour rappelle que depuis la loi n° 2015-1541 (dite Braillard), les contrats d’entraîneurs professionnels relèvent d’un régime spécifique du code du sport, à l’exclusion de diverses dispositions du code du travail. Elle constate cependant l’absence de démonstration d’un préjudice lié à la seule dénomination erronée du contrat et déboute le salarié de ce chef d’indemnisation.
- Sur la reconnaissance du statut cadre :
Sur le fondement des articles 31.2.1 du statut des éducateurs de football et de la convention collective nationale du sport (avenant n° 112, art. 13.3.1.2), la Cour considère que l’entraîneur principal à temps plein responsable d’une équipe première bénéficie du statut de cadre autonome, même dans un club évoluant en National 2. L’employeur est condamné à régulariser les cotisations afférentes pour toute la période couverte par le contrat.
La motivation retenue précise qu'il ne peut être exigé que ce bénéfice soit réservé aux entraîneurs de ligues professionnelles, la rédaction littérale des textes permettant une application à l’espèce.
- Sur la mise à pied conservatoire :
Sur le fondement de l'article L. 1332-3 du Code du travail, la Cour juge que la mise à pied prononcée concomitamment à l'engagement de la procédure disciplinaire revêt un caractère conservatoire. Elle ne saurait être requalifiée en mesure disciplinaire en l’absence de violation de l’ordre procédural.
- Sur la rupture du CDD :
La Cour retient, sur la base d’une transposition de la jurisprudence en matière de licenciement verbal (Soc., 4 juin 2008, n° 07-40.126 et Soc., 23 juin 1998, n° 96-41.688), que l’annonce publique anticipée de la rupture dans la presse caractérise une irrégularité procédurale rendant ladite rupture abusive.
Extrait de la décision :
« En l’espèce, la lettre de rupture du contrat de travail a été adressée le 6 juillet 2019 alors que l’employeur annonçait dans le quotidien Var-matin cette rupture dès le 24 juin 2019. En conséquence, la rupture du contrat de travail est abusive et la mise à pied conservatoire injustifiée. »
- Sur les demandes indemnitaires :
Conformément à l'article L. 1243-4 du Code du travail (applicable par renvoi du code du sport), la Cour octroie au salarié le montant des salaires restant à courir jusqu’au terme du CDD, ainsi que des dommages spécifiques pour préjudice professionnel et d’image (procédure disciplinaire irrégulière), la rémunération de la période de mise à pied conservatoire et les congés payés afférents.
La Cour écarte toute contestation sur le quantum et accorde au salarié des frais irrépétibles.
- Portée et implications :
L’arrêt consacre l’obligation, pour l’employeur sportif, de respecter rigoureusement la procédure de rupture anticipée, notamment en évitant toute publicité prématurée. Il rappelle la protection statutaire propre au cadre du sport professionnel, et l’importance de la régularisation des cotisations en cas de contestation du statut, étendant ici la reconnaissance du statut de cadre au-delà du seul cadre des ligues professionnelles. Cet arrêt fixe, en pratique, un cadre protecteur renforcé autour de la rupture anticipée d’un CDD spécifique sportif.
Mots clés
contrat à durée déterminée spécifique, entraîneur sportif professionnel, rupture anticipée, faute grave, procédure disciplinaire, statut cadre autonome, cotisations sociales cadre, Code du sport article L. 222-2-1, publicité de la rupture, dommages et intérêts pour rupture abusive