24/00335
Résumé
En bref
La Cour d'appel d'Amiens a, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, infirmé la décision du Tribunal judiciaire d'Amiens du 29 novembre 2023 et exonéré totalement M. [Y] de sa responsabilité civile délictuelle à raison des blessures subies par [P] [L] lors d'un match de football U14. La cour retient que la faute caractérisée de la victime, à l'origine exclusive du dommage, a absorbé la causalité du dommage, et déboute par conséquent l'ensemble des demandes d'indemnisation.
En détail
Parties impliquées :
L'affaire opposait, en appel, M. [A] [Y] (arbitre bénévole, parent d'un joueur et appelant), à M. [J] [L], agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur [P] [L] (intimé, victime), ainsi qu'à la Caisse primaire d'assurance maladie (appelée à la cause mais non constituée devant la cour).
Problème juridique et question principale :
Le litige portait principalement sur la question de savoir si la responsabilité civile délictuelle de M. [Y], fondée sur l'article 1240 du Code civil, pouvait ou non être engagée à raison des blessures subies par [P] [L] lors d'une altercation survenue durant un match de football, eu égard à l'existence alléguée d'une cause exonératoire (faute de la victime ou “légitime défense”).
Résumé des faits et prétentions :
Le 19 septembre 2020, lors d'un match U14, un contact s'est produit entre [X], fils de M. [Y], et [P] [L], menant à ce que M. [Y], intervenant en tant qu'arbitre bénévole, pousse [P] [L] — lequel chuta violemment, se fracturant l'avant-bras. Le représentant légal de [P] [L] a assigné M. [Y], sollicitant une indemnisation complète du préjudice corporel de son fils. Le Tribunal judiciaire d'Amiens avait initialement déclaré M. [Y] responsable, le condamnant à réparer intégralement tous les chefs de préjudices. M. [Y] a exercé appel, contestant toute responsabilité et invoquant la cause exonératoire de la “légitime défense” ou, subsidiairement, le partage de responsabilités en raison de la faute de la victime.
Motifs et raisonnement juridique :
Sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, la cour rappelle que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », sauf si la victime a commis une faute exclusive à l'origine du dommage.
Après examen détaillé des déclarations, attestations et éléments versés aux débats, la cour relève la concordance entre les versions de M. [Y] et de témoins indépendants établissant que la victime a, au préalable, engagé une action violente (tentative de porter un coup de poing), justifiant l'intervention de M. [Y] pour prévenir une attaque imminente sur son fils.
La cour précise l'importance de la preuve, la charge de celle-ci incombant à l'auteur alléguant la faute de la victime, preuve ici rapportée objectivement par le faisceau d'éléments concordants (déclarations, attestations circonstanciées, messages numériques du représentant légal de la victime).
Sur l'appréciation du geste de M. [Y], la cour retient qu'il n'est établi ni usage disproportionné de la force ni violence illégitime, l'intervention étant motivée par la nécessité d'empêcher une agression imminente et objectivement caractérisée. La cour constate ainsi que « le comportement violent de la victime, irrépressible et imprévisible pour M. [Y], absorbe l'intégralité de la causalité entre la faute et le dommage », excluant ainsi tout droit à indemnisation au titre des dommages subis.
Extrait de la décision :
« Le comportement violent de la victime qui, au regard des éléments de contexte ci-dessus décrits, présentait un caractère irrésistible et imprévisible pour M. [Y], doit, dès lors, être considéré comme absorbant l'intégralité de la causalité entre la faute et le dommage et, par conséquent, comme exonérant totalement l'intéressé de sa responsabilité civile, sans que l'étendue du dommage ait une incidence sur ce point. »
Points de droit et répercussions :
La décision consacre la possibilité, en contexte sportif, de voir la faute exclusive de la victime exonérer totalement l'auteur d'un dommage, notamment lorsque celle-ci est qualifiée d'irrésistible et d'imprévisible. Elle illustre, en matière de discipline sportive et dans le cadre civil, l'application rigoureuse de l'article 1240 du Code civil et de la jurisprudence sur la causalité exclusive du dommage par la victime, dans un contexte de gestion d'incidents sur l'aire de jeu par des officiels bénévoles.
Précision importante : la volonté de blesser n'est pas requise, seule la faute génératrice de l'événement suffit, sauf preuve de cause exonératoire, appréciée avec rigueur.
La cour déboute l'ensemble des demandes d'indemnisation, condamne le représentant légal de la victime aux dépens et à payer 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mots clés
responsabilité délictuelle, article 1240 du Code civil, cause exonératoire, faute de la victime, légitime défense, gestion des violences sportives, preuve de la faute, causalité exclusive, indemnisation du préjudice corporel, article 700 du Code de procédure civile