23/02230
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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Bordeaux juge que le défaut d'organisation de la visite médicale d'embauche par une association sportive constitue, à lui seul, un manquement suffisamment grave à l'obligation de sécurité de l'employeur. Ce manquement justifie que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour confirme la qualification de la rupture mais réforme le jugement sur les conséquences pécuniaires, allouant notamment des indemnités de préavis et de congés payés, tout en rejetant la demande pour exécution déloyale, l'obligation de visite de reprise n'étant pas née, la salariée n'ayant pas repris son poste.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : Mme [D] [W] (la salariée, appelante) et l'Association OVALE CITOYEN (l'employeur, intimée non comparante).
- Problèmes juridiques principaux : Qualification de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, appréciation de la gravité des manquements de l'employeur (défaut de visite médicale d'embauche, de visite de reprise), et détermination des conséquences indemnitaires de la rupture.
- Question juridique principale : Les manquements reprochés à l'employeur, et singulièrement l'absence de visite médicale d'embauche, sont-ils d'une gravité suffisante pour que la prise d'acte par la salariée produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
- Exposé du litige : Une salariée, engagée en qualité de chargée d'insertion par une association relevant de la convention collective nationale du sport, a pris acte de la rupture de son contrat de travail après plusieurs arrêts maladie pour des motifs incluant un burn-out et une dépression. Elle reprochait à son employeur 1️⃣ le défaut de visite médicale d'embauche, 2️⃣ l'absence de visite de reprise et 3️⃣ le défaut de transmission de l'attestation de salaire à la CPAM. Le conseil de prud'hommes avait jugé que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée a interjeté appel, sollicitant la requalification en licenciement pour faute grave et la réévaluation de ses demandes pécuniaires.
2. ANALYSE DES MOTIFS
La Cour d'appel articule son raisonnement en examinant d'abord la légitimité de la prise d'acte avant de statuer sur ses conséquences financières et les autres demandes indemnitaires.
A. Sur la qualification de la prise d'acte de la rupture
✅ La Cour confirme la décision des premiers juges en retenant qu'un manquement de l'employeur justifiait la rupture à ses torts. 🔍 Pour ce faire, elle rappelle le principe directeur en la matière : la prise d'acte ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements de l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La Cour concentre ensuite son analyse sur l'absence de visite d'information et de prévention (dite visite d'embauche). Elle considère que ce seul manquement, au regard de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur, est déterminant, surtout compte tenu de l'état de santé dégradé de la salariée (arrêts pour dépression, burn-out). Sur le fondement de l'obligation de sécurité et de protection de la santé des salariés, la Cour estime que le défaut de visite initiale est constitutif d'une faute d'une gravité suffisante.
"Au regard des arrêts de travail subis par Mme [W] à compter du mois de janvier 2021 et de leurs motifs, ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de préserver la santé des salariés est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte de la rupture du contrat qui doit dès lors produire les effets d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse." (Décision, point 14)
➡️ Par cette motivation, la Cour valide la prise d'acte aux torts de l'employeur sans avoir à examiner les autres griefs invoqués pour la qualification de la rupture. Ce manquement unique est jugé dirimant.
B. Sur les demandes pécuniaires consécutives à la rupture
La Cour examine ensuite les différentes demandes indemnitaires de la salariée. ❌ L'indemnité pour procédure irrégulière : La Cour rejette cette demande en rappelant un principe constant. La prise d'acte, même justifiée, n'est pas une procédure de licenciement initiée par l'employeur. Par conséquent, aucune indemnité pour non-respect d'une procédure inexistante ne peut être allouée.
"L'indemnité pour procédure irrégulière de licenciement n'est pas due lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat." (Décision, point 17)
✅ L'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés : Infirmant partiellement le jugement de première instance, la Cour fait droit à ces demandes. Sur le fondement de l'article L. 1234-1 du code du travail et de l'article 4.4.3.2. de la convention collective nationale du sport, elle fixe la durée du préavis à un mois, compte tenu de l'ancienneté de la salariée (sept mois), et condamne l'employeur au paiement des sommes correspondantes.
C. Sur les autres demandes en paiement
La Cour rejette les demandes fondées sur une prétendue exécution déloyale du contrat de travail. ❌ La demande au titre de l'exécution déloyale : La salariée articulait ce grief autour de deux manquements : le défaut de transmission de l'attestation de salaire et l'absence de visite de reprise. ⚖️ La Cour écarte ces deux arguments. D'une part, elle constate que les pièces produites (échanges de SMS, relevé CPAM) prouvent le paiement des indemnités journalières et l'existence d'une attestation employeur. D'autre part, et c'est un point de droit notable, elle juge que l'obligation d'organiser une visite de reprise n'était pas encore née. En effet, cette obligation ne pèse sur l'employeur qu'au moment de la reprise effective du travail par le salarié. La salariée étant restée en arrêt maladie jusqu'à la prise d'acte, l'employeur ne pouvait se voir reprocher un manquement à ce titre.
"S'agissant de la visite de reprise, il ne peut qu'être relevé que Mme [W] n'ayant pas repris le travail à la date à laquelle elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail, aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur, qui au vu des échanges de SMS produits par Mme [W], n'était pas informé de la date du retour de celle-ci." (Décision, point 31)
➡️ Ce raisonnement a pour portée de circonscrire strictement les conditions de mise en œuvre de l'obligation patronale relative à la visite de reprise, la liant inextricablement à la fin de la suspension du contrat de travail. L'absence de reprise effective du poste par le salarié neutralise ce grief.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"Au regard des arrêts de travail subis par Mme [W] à compter du mois de janvier 2021 et de leurs motifs, ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de préserver la santé des salariés est suffisamment grave pour justifier la prise d'acte de la rupture du contrat qui doit dès lors produire les effets d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse." (Point 14 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Prise d'acte et obligation de sécurité : L'absence de visite médicale d'embauche constitue un manquement suffisamment grave de l'employeur à son obligation de sécurité pour justifier une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- 🔗 Condition de la visite médicale de reprise : L'obligation pour l'employeur d'organiser une visite de reprise n'est déclenchée que par la reprise effective du travail par le salarié. Un salarié qui prend acte de la rupture de son contrat alors qu'il est encore en arrêt maladie ne peut invoquer le défaut d'organisation de cette visite comme un manquement de l'employeur.
- ⚖️ Appréciation de la gravité des manquements : Pour qualifier une prise d'acte, le juge n'est pas tenu d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié ; l'existence d'un seul manquement suffisamment grave suffit à imputer la rupture à l'employeur.
- 👨⚖️ Portée indemnitaire de la prise d'acte : La prise d'acte justifiée, si elle ouvre droit aux indemnités de rupture (préavis, licenciement), n'ouvre pas droit à une indemnité pour procédure de licenciement irrégulière, une telle procédure n'ayant pas été mise en œuvre.
Mots clés
Prise d'acte de la rupture, convention collective nationale du sport, obligation de sécurité, visite médicale d'embauche, visite de reprise, manquement grave de l'employeur, licenciement sans cause réelle et sérieuse, exécution déloyale du contrat, indemnité compensatrice de préavis, santé au travail.
NB : 🤖 résumé généré par IA