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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Caen infirme partiellement le jugement de première instance et fait droit aux demandes d'un salarié d'une ligue de football. La Cour juge que les heures de surveillance de nuit constituent un temps de travail effectif intégralement dû, écartant l'application d'un régime d'équivalence faute de fondement conventionnel. Sur la base de la Convention Collective des Personnels Administratifs et Assimilés du Football (CCPAAF), jugée plus favorable et spéciale, elle recalcule les droits du salarié. Elle caractérise en outre l'existence d'un travail dissimulé, retenant l'élément intentionnel de l'employeur qui n'avait mentionné aucune heure supplémentaire sur les bulletins de paie, alors même que ses propres plannings en attestaient.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : Monsieur [H] [K] (salarié, appelant) et l'Association LIGUE DE FOOTBALL DE NORMANDIE (LFN) (employeur, intimée).
- Principaux problèmes juridiques : La qualification des heures de surveillance de nuit, la détermination de la convention collective applicable, la caractérisation du travail dissimulé, et la recevabilité d'une preuve obtenue par géolocalisation.
- Question juridique principale : Les heures de surveillance nocturne d'un salarié, logé au sein d'un centre de formation pour jeunes footballeurs, doivent-elles être qualifiées de temps de travail effectif en l'absence de régime d'équivalence prévu par la convention collective applicable, et l'omission substantielle de leur rémunération sur les bulletins de paie constitue-t-elle une dissimulation intentionnelle constitutive de travail dissimulé ?
- Exposé du litige : Un salarié, engagé en qualité de "surveillant de nuit, aide aux devoirs et transport des jeunes", a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement d'heures de nuit et d'heures supplémentaires, considérant qu'elles constituaient un temps de travail effectif. ❌ L'employeur s'y opposait, arguant de l'application d'un régime d'équivalence et du caractère non effectif de ces heures. Débouté en première instance, le salarié a interjeté appel.
2. ANALYSE DES MOTIFS
A. Sur l'irrecevabilité de la preuve par géolocalisation
🔍 La Cour examine la recevabilité d'un relevé de géolocalisation produit par l'employeur pour contester l'activité du salarié. La Cour constate que le salarié n'a pas été préalablement informé de l'existence de ce dispositif, l'employeur admettant ne pas lui avoir communiqué la charte "flotte automobile" le prévoyant. Une simple mise en ligne sur une plateforme interne est jugée insuffisante pour satisfaire à l'obligation d'information préalable du salarié. Faute d'information, ce mode de preuve est qualifié d'illicite.
"En conséquence, faute d'information préalable, le relevé de géolocalisation produit constitue une preuve illicite." (Décision, section 1)
⚖️ La Cour procède ensuite à une mise en balance des droits. Elle retient que cette preuve, portant atteinte à la vie privée du salarié, n'est pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur, celui-ci disposant d'autres moyens probatoires, telle une attestation testimoniale qu'il a d'ailleurs produite. ➡️ La pièce est donc écartée des débats.
B. Sur la détermination de la convention collective applicable
🔎 La Cour est saisie de la question du conflit entre deux conventions collectives potentiellement applicables : la Convention Collective Nationale du Sport (CCNS), de portée générale, et la Convention Collective des Personnels Administratifs et Assimilés du Football (CCPAAF), à caractère spécial. ✅ La Cour tranche en faveur de l'application exclusive de la CCPAAF. Elle fonde sa décision sur un double raisonnement : 1️⃣ Le principe specialia generalibus derogant : la CCPAAF, en tant qu'accord spécial visant les salariés des organismes du football, prévaut sur la CCNS, accord général. 2️⃣ Le principe de faveur : la CCPAAF contient des dispositions plus favorables au salarié sur le point litigieux du décompte des heures de nuit.
"Toutefois, la CCPAAF, accord spécial applicable à certains salariés -dont M. [B] travaillant dans le domaine du football prévaut sur la CCNS, accord général. En outre, en ce qui concerne le point en litige dans le dossier (celui du décompte des heures de nuit), la CCPAAF contient des dispositions plus favorables. Pour ces deux raisons, c'est cette convention qui a vocation à s'appliquer." (Décision, section 2)
La Cour précise que la simple mention des deux conventions dans le contrat de travail ne permet pas à l'employeur d'opter pour les dispositions les moins favorables de la CCNS, en l'absence de clause contractuelle précise et au regard du caractère plus favorable de la CCPAAF.
C. Sur la qualification des heures de nuit en temps de travail effectif
La Cour analyse la nature des heures de nuit effectuées par le salarié pour déterminer si elles relèvent d'un régime d'équivalence ou si elles doivent être intégralement décomptées comme temps de travail effectif. ❌ D'abord, la Cour écarte la validité du régime d'équivalence invoqué par l'employeur. Sur le fondement des articles L3121-14 et L3121-15 du code du travail, elle rappelle qu'un tel régime ne peut être institué que par une convention collective ou un décret. Or, la CCPAAF, seule applicable, ne prévoit pas ce dispositif. Le contrat de travail ne pouvait donc valablement y déroger.
"Dès lors, faute de fondement réglementaire ou conventionnel, le contrat de travail ne pouvait valablement prévoir un système d'équivalence." (Décision, section 3-1-1)
✅ Ensuite, la Cour qualifie ces heures de temps de travail effectif. Elle retient que la mission de "surveillance des jeunes sportifs" impliquait pour le salarié de demeurer dans l'établissement et d'être à la disposition immédiate de l'employeur. L'argument de l'employeur selon lequel le salarié vaquait à des occupations personnelles est rejeté. La Cour s'appuie paradoxalement sur l'attestation produite par l'employeur relatant que le salarié s'était absenté pour s'acheter un kebab : la réaction du témoin, qui a considéré cette absence comme un manquement à la mission de surveillance, démontre a contrario que le salarié n'était pas libre de vaquer à ses occupations et devait rester à son poste.
"La réaction de M. [J] démontre toutefois qu'il a considéré cette absence comme un manquement de M. [K] à sa mission de surveillance et non comme la pratique normale d'un salarié vaquant librement à ses occupations personnelles. Cet élément ne contredit donc pas le caractère de travail effectif des heures de nuit." (Décision, section 3-1-1)
➡️ Il s'ensuit que l'intégralité des heures de nuit doit être rémunérée comme du temps de travail effectif, donnant lieu à un rappel de salaire conséquent.
D. Sur la caractérisation du travail dissimulé
La Cour recherche si l'élément intentionnel de la dissimulation, requis pour caractériser le travail dissimulé, est établi. ⚠️ La Cour admet que l'employeur ait pu de bonne foi se méprendre sur l'application d'un régime d'équivalence. Cependant, elle relève un élément décisif démontrant son intention frauduleuse. ✅ L'employeur n'a mentionné aucune heure supplémentaire sur les bulletins de paie, alors même qu'en appliquant son propre mode de calcul erroné (basé sur l'équivalence), le planning de travail du salarié s'élevait à 41 heures hebdomadaires, soit 6 heures supplémentaires. Cette omission manifeste, non justifiée par une quelconque erreur d'interprétation, suffit à établir l'élément intentionnel de la dissimulation.
"En revanche, elle n'explique pas comment elle a pu, si ce n'est de manière intentionnelle, ne faire figurer aucune heure supplémentaire sur les bulletins de paie de M. [K] alors que son propre planning, même en ne prenant en compte que 3H au titre des nuits travaillées, totalise 41H de travail hebdomadaire soit 6 heures supplémentaires. Cet élément établit suffisamment l'existence d'une dissimulation intentionnelle."" (Décision, section 4)
➡️ Le salarié est donc fondé à obtenir l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue par le code du travail.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"En revanche, elle n'explique pas comment elle a pu, si ce n'est de manière intentionnelle, ne faire figurer aucune heure supplémentaire sur les bulletins de paie de M. [K] alors que son propre planning, même en ne prenant en compte que 3H au titre des nuits travaillées, totalise 41H de travail hebdomadaire soit 6 heures supplémentaires. Cet élément établit suffisamment l'existence d'une dissimulation intentionnelle." (Décision, section 4)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Convention collective applicable : En cas de concours entre une convention collective de branche générale (CCNS) et une convention spécifique à un secteur d'activité (CCPAAF), cette dernière prévaut en application du principe specialia generalibus derogant, surtout si elle est plus favorable au salarié.
- 🎯 Temps de travail effectif : Les heures de surveillance de nuit d'un salarié contraint de demeurer sur le lieu de travail à la disposition de l'employeur pour intervenir à tout moment doivent être qualifiées de temps de travail effectif et rémunérées comme tel.
- 🔗 Régime d'équivalence : L'instauration d'un régime d'heures d'équivalence est subordonnée à l'existence d'une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle. Une simple clause contractuelle est inopérante.
- 🎯 Travail dissimulé : L'élément intentionnel du travail dissimulé peut être caractérisé par l'omission systématique sur les bulletins de paie d'heures supplémentaires dont l'existence ne peut être contestée par l'employeur, y compris sur la base de ses propres décomptes, même erronés.
- 👨⚖️ Droit de la preuve : Une preuve obtenue de manière illicite (géolocalisation sans information préalable) portant atteinte à la vie privée doit être écartée des débats si elle n'est pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la partie qui la produit.
Mots clés
travail dissimulé, élément intentionnel, temps de travail effectif, régime d'équivalence, heures de nuit, convention collective applicable, CCPAAF, preuve illicite, géolocalisation, durée maximale du travail.
NB : 🤖 résumé généré par IA