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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Douai infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Tourcoing qui s'était déclaré incompétent. Sur le fondement des articles L.1411-1 et L.1221-1 du Code du travail et de l'article 12.3.1.1 de la convention collective du sport, elle reconnaît l'existence d'un contrat de travail entre un joueur de futsal et la société Mouvaux Métropole Futsal, malgré l'absence de contrat écrit et de bulletins de salaire. Elle condamne la société liquidée au versement de 60 719,36 euros comprenant rappel de salaires, congés payés, indemnités pour défaut d'élections professionnelles, rupture anticipée abusive et travail dissimulé.
En détail
Parties impliquées
L'affaire oppose M. [V], joueur de futsal né en 2000, à la société Mouvaux Métropole Futsal (en liquidation judiciaire depuis juillet 2023), représentée par son liquidateur judiciaire Maître [F], ainsi qu'à l'AGS-CGEA en sa qualité d'organisme de garantie des salaires.
Problèmes juridiques en jeu
La décision traite de plusieurs problématiques centrales en droit du sport :
- La compétence matérielle du conseil de prud'hommes pour les litiges sportifs
- La qualification juridique de la relation entre un joueur et un club de futsal professionnel
- L'application du régime du travail dissimulé dans le contexte sportif
- Les obligations de l'employeur en matière de représentation du personnel et de médecine du travail
Question juridique principale
La question centrale porte sur l'existence d'un contrat de travail entre un joueur de futsal et un club professionnel en l'absence de formalisation écrite, et sur les conséquences juridiques de cette requalification.
Exposé du litige
M. [V], joueur de futsal, a intégré l'équipe professionnelle de D1 Futsal de la société Mouvaux Métropole Futsal en juillet 2022 pour deux saisons. Malgré des négociations contractuelles documentées et une proposition de contrat prévoyant un salaire annuel de 9 600 euros, aucun contrat écrit n'a été finalisé. Le joueur a néanmoins participé à l'ensemble des entraînements et matchs jusqu'en mai 2023, date à laquelle le club a cessé ses activités avant d'être placé en liquidation judiciaire.
Le Conseil de prud'hommes de Tourcoing s'était déclaré incompétent le 27 juin 2024, estimant que le litige relevait du tribunal judiciaire. M. [V] a interjeté appel, sollicitant la reconnaissance d'un contrat de travail et le paiement de diverses créances salariales.
Motifs de la décision
Sur la compétence du conseil de prud'hommes
Sur le fondement de l'article L.1411-1 du Code du travail, la Cour rappelle que les juridictions du travail ont compétence matérielle pour connaître des demandes fondées sur un contrat de travail et statuer sur l'existence et la validité d'un tel contrat. Les demandes de M. [V] portant sur l'exécution et la rupture d'un prétendu contrat de travail, elles relèvent bien de cette compétence spécialisée.
La Cour infirme donc le jugement en ce qu'il s'était déclaré incompétent et évoque le fond pour donner une solution définitive au litige, dans l'intérêt d'une bonne justice.
Sur l'existence d'un contrat de travail
Sur le fondement de l'article L.1221-1 du Code du travail et de l'article 12.3.1.1 de la convention collective du sport, la Cour analyse les critères de la relation de travail salarié. Elle retient que le sportif professionnel est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée l'exercice d'une activité sportive dans un lien de subordination juridique.
La Cour établit l'existence du lien de subordination par plusieurs éléments probants : la participation obligatoire aux entraînements quotidiens et aux matchs selon des horaires définis unilatéralement par le club, le respect de consignes strictes (notamment concernant l'utilisation des équipements), l'impossibilité de refuser les convocations du président, et l'intégration dans un cadre organisé où le club avait le pouvoir de sanctionner les manquements.
Elle écarte les arguments des intimées selon lesquels M. [V] aurait été un simple joueur amateur, cette explication étant "dépourvue de toute vraisemblance" au regard des déclarations du président du club affirmant que tous les joueurs étaient salariés.
Sur les créances salariales
Sur le fondement de l'article 12.6.2.1 de la convention collective du sport, la Cour fixe le rappel de salaires à 21 538 euros brut, correspondant à la rémunération minimum d'un jeune sportif en formation (19 386,64 euros en 2022 et 20 710 euros en 2023), déduction faite des 2 700 euros nets déjà perçus.
Sur le fondement de l'article 12.7.2.2.1 de la convention collective, elle accorde 2 982,18 euros brut au titre des congés payés, à raison de trois jours ouvrables par mois de travail effectif.
Sur les manquements de l'employeur
Concernant les élections professionnelles, sur le fondement de l'article 3.3.1 de la convention collective, de l'article L.2311-2 du Code du travail et de l'article 1240 du Code civil, la Cour relève qu'avec un effectif d'au moins onze salariés pendant douze mois consécutifs, l'employeur était tenu d'organiser des élections sans qu'aucun procès-verbal de carence n'ait été établi. Cette faute cause un préjudice aux salariés privés de représentation, indemnisé à hauteur de 1 000 euros.
Pour la rupture anticipée, sur le fondement de l'article L.1243-4 du Code du travail, la Cour considère que la cessation d'activité décidée par le président ne constitue pas un cas de force majeure. Elle condamne donc la société à verser 24 520,18 euros correspondant aux rémunérations jusqu'au terme prévu du contrat.
Sur le travail dissimulé
Sur le fondement des articles L.8221-5 et L.8223-1 du Code du travail, la Cour retient l'intention de dissimuler l'activité salariale en raison de l'absence de déclaration préalable à l'embauche, d'établissement d'un contrat écrit et de délivrance de bulletins de salaire. Elle accorde l'indemnité forfaitaire de six mois de salaire, soit 10 679 euros.
Extrait de la décision :
"Il ressort de ce qui précède que M. [V] et la société Mouvaux Métropole Futsal étaient bien liés par un contrat de travail"
Points de droit importants et répercussions
Cette décision confirme plusieurs principes :
La primauté du fait sur le droit : l'absence de contrat écrit n'empêche pas la reconnaissance d'une relation de travail salarié dès lors que les conditions de fait du salariat sont réunies.
L'application du droit du travail de droit commun aux sportifs professionnels, y compris les sanctions du travail dissimulé, même en l'absence de volonté manifeste de fraude.
La responsabilité étendue des clubs professionnels qui doivent respecter l'ensemble des obligations patronales, notamment en matière de représentation du personnel.
L'opposabilité à l'AGS des créances salariales reconnues, dans les limites de la garantie légale, facilitant le recouvrement pour les sportifs victimes de défaillances d'employeurs.
Mots clés
Contrat de travail sportif, lien de subordination, convention collective du sport, travail dissimulé, futsal professionnel, liquidation judiciaire, compétence prud'homale, élections professionnelles, rupture anticipée abusive, AGS garantie salariale