25/00017
Résumé
En bref
La Cour d'appel de Nîmes a rendu une ordonnance de référé le 23 mai 2025 relative à une demande de suspension d'exécution provisoire d'un jugement condamnant solidairement un avocat et une société d'assurance au paiement de 656 774,19 euros de dommages-intérêts à un joueur professionnel de football. Sur le fondement de l'article 514-3 du Code de procédure civile, la Cour a rejeté la demande de suspension faute de démonstration de conséquences manifestement excessives, tout en autorisant la consignation de 200 000 euros à la Caisse des Dépôts et Consignations dans le cadre de l'aménagement de l'exécution provisoire prévu par l'article 521 du Code de procédure civile.
En détail
Parties en présence et contexte procédural
L'affaire oppose Maître [P] [F], avocat, et la société [11], compagnie d'assurance, en qualité de demandeurs à l'appel, à Monsieur [G] [O], joueur professionnel de football, en qualité de défendeur.
Le litige trouve son origine dans la responsabilité civile professionnelle de l'avocat dans le cadre de la gestion d'un contrat de joueur professionnel et des règlements FIFA applicables aux transferts internationaux.
Question juridique principale
La problématique centrale porte sur les conditions de suspension de l'exécution provisoire d'une décision de condamnation, particulièrement l'appréciation des conséquences manifestement excessives au sens de l'article 514-3 du Code de procédure civile, dans le contexte spécifique du droit du sport international.
Exposé du litige et motifs de la condamnation initiale
Par jugement du 18 novembre 2024, le Tribunal judiciaire d'Avignon avait condamné solidairement l'avocat et la société d'assurance au paiement de plusieurs sommes à Monsieur [O], notamment 656 774,19 euros au titre de la réparation du préjudice correspondant à la perte certaine de ses rémunérations contractuelles.
La condamnation de l'avocat résultait de son manquement aux obligations professionnelles dans la gestion de la rupture du contrat de travail du joueur. Spécifiquement, l'avocat avait adressé une lettre de rupture le 18 mai 2020 sans respecter les délais de l'article 14bis du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA, qui impose un délai de 15 jours pour permettre au club employeur de régulariser le paiement des salaires impayés avant toute résiliation pour juste cause.
Cette faute professionnelle avait privé irrémédiablement le joueur de la possibilité de :
- Saisir utilement les instances FIFA (Commission de Résolution des Litiges - CRL)
- Obtenir le paiement de l'intégralité de ses salaires et primes jusqu'à la fin initialement prévue du contrat
- Bénéficier des mécanismes de protection prévus par les règlements FIFA
Arguments des demandeurs à l'appel
Sur le fondement de l'article 514-3 du Code de procédure civile, Maître [P] [F] et la société [11] invoquaient deux séries d'arguments pour justifier la suspension de l'exécution provisoire :
Concernant l'existence de moyens sérieux de réformation, ils soutenaient que :
- Le tribunal de première instance avait statué au seul visa de l'article 14bis du RSTJ sans tenir compte de l'interprétation de l'article 14 par les juridictions compétentes
- Aucun manquement au devoir de compétence ou de prudence ne pouvait être reproché à l'avocat
- Le non-paiement des salaires résultait de l'absence de trésorerie du club et non de la lettre de rupture
- L'absence de saisine de la CRL FIFA ne lui était pas imputable
- Il n'existait pas de lien de causalité entre le non-respect du délai de l'article 14bis du RSTJ et les préjudices revendiqués
Concernant les conséquences manifestement excessives, ils argumentaient que :
- Les ressources actuelles de Monsieur [O] étaient totalement inconnues
- Il existait un risque sérieux d'incapacité de restitution de la somme de 200 000 euros en cas d'infirmation du jugement
- L'exécution provisoire risquait d'entraîner des conséquences disproportionnées
Arguments du défendeur
Monsieur [O] contestait systématiquement les prétentions des appelants en soutenant que :
Sur l'absence de moyens sérieux de réformation :
- L'article 14bis du RSTJ prévoit des conditions particulières d'application spécifiques aux salaires impayés
- Les jurisprudences produites ne correspondaient pas à sa situation particulière
- L'avocat avait commis une faute caractérisée dans l'exercice de ses missions
- La lettre de rupture du 18 mai 2020 l'avait privé du droit de se prévaloir d'une juste cause
- Il existait un lien de causalité direct entre la faute de l'avocat et les préjudices subis
Sur l'absence de conséquences manifestement excessives :
- Les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d'un préjudice disproportionné
- Aucune incapacité à honorer les condamnations financières n'était démontrée
- Il n'existait aucune preuve d'une situation d'insolvabilité de sa part
Analyse et motivation de la Cour d'appel
Sur la qualité à agir de la société d'assurance
Sur le fondement du dispositif de la décision déférée, la Cour a considéré que la société [11] était bien la personne morale condamnée au paiement solidaire et disposait donc de la qualité à agir pour solliciter la suspension de l'exécution provisoire.
Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire
La Cour a procédé à une analyse rigoureuse des conditions cumulatives prévues par l'article 514-3 du Code de procédure civile :
Concernant les conséquences manifestement excessives, la Cour a retenu que :
- L'existence de ces conséquences s'apprécie par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement du créancier
- L'absence de justification par Monsieur [O] de l'existence d'un contrat de travail actuel et l'indication de la déclin de sa "valeur marchande" ne suffisaient pas à qualifier d'impossible ses capacités de remboursement
- Les capacités financières certaines d'au moins un des débiteurs (la compagnie d'assurances) ne sauraient être mises à mal par le paiement de la somme mise à sa charge
En conséquence, la Cour a considéré que la preuve des conséquences manifestement excessives n'était pas rapportée, rendant inutile l'examen des moyens de réformation invoqués, dès lors qu'une des deux conditions exigées faisait défaut.
Extrait de la décision
« Dans la mesure où la preuve des conséquences manifestement excessives que causerait l'exécution provisoire du jugement rendu le 18 novembre 2024 n'est pas rapportée et sans qu'il soit nécessaire de s'intéresser aux moyens de réformation invoqués par la société 11, dès lors qu'une des deux conditions exigées par l'article 514-3 du code de procédure civile fait défaut, la demande d'arrêt de cette exécution provisoire doit être rejetée. »
Sur l'aménagement de l'exécution provisoire
Sur le fondement de l'article 521 alinéa 1 du Code de procédure civile, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire d'aménagement en considérant que :
- Le contentieux repose sur une analyse d'un fonctionnement très particulier permettant la garantie de paiement des salaires des joueurs de football selon une procédure faisant intervenir les organes internationaux gérant le monde du football
- Les contestations relevées de part et d'autre sont pertinentes et étayées
- Il convenait d'ordonner la consignation des sommes assorties de l'exécution provisoire, soit 200 000 euros
La Cour a ainsi autorisé la consignation tout en précisant que les fonds devront être versés à la Caisse des Dépôts et Consignations dans un délai de 30 jours, à défaut de quoi cet aménagement sera censé ne jamais avoir été autorisé.
Extrait de la décision
"Il apparaît, que le contentieux repose sur une analyse d'un fonctionnement très particulier permettant la garantie de paiement des salaires des joueurs de football selon une procédure faisant intervenir les organes internationaux et gérant le monde du football. Les contestations relevées de part et d'autre sont pertinentes et étayées."
Portée juridique et répercussions
Cette décision présente plusieurs enseignements significatifs :
En matière de procédure civile :
- Application stricte des conditions cumulatives de l'article 514-3 du Code de procédure civile
- Exercice du pouvoir discrétionnaire d'aménagement prévu par l'article 521 en fonction des spécificités du contentieux
En matière de droit du sport :
- Reconnaissance de la complexité du système de protection des joueurs mis en place par la FIFA
- Importance cruciale du respect des délais de l'article 14bis du RSTJ pour préserver les droits des joueurs professionnels
Mots clés
Responsabilité civile professionnelle, article 514-3 Code de procédure civile, exécution provisoire, conséquences manifestement excessives, article 14bis RSTJ FIFA, consignation, article 521 Code de procédure civile, juste cause, droit du sport, règlements FIFA