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Résumé
En bref
La Cour d'appel de Nîmes infirme partiellement le jugement en distinguant la rupture des deux contrats. Elle juge que le CDD de sportif professionnel a été exécuté et non valablement substitué, rendant sa rupture abusive (art. L. 1243-4 du Code du travail) et caractérisant le travail dissimulé (art. L. 8221-5). ✅ Elle condamne le club à des rappels de salaire et indemnités. En revanche, elle valide la rupture pour faute grave du contrat de professionnalisation en raison des manquements du joueur à ses obligations de formation. ❌ Les demandes du joueur relatives à ce contrat sont rejetées.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : M. [C] [L] (joueur professionnel de basket-ball, appelant) et l'ASSOCIATION UNION SPORTIVE [Localité 4] BASKET (club, intimée).
- Problèmes juridiques principaux :
- La validité et l'exécution d'un CDD spécifique de sportif professionnel conclu parallèlement à un contrat de professionnalisation.
- La qualification de la rupture simultanée des deux contrats pour faute grave.
- La caractérisation du travail dissimulé pour non-déclaration et non-paiement du CDD de sportif.
- La recevabilité d'un enregistrement clandestin comme moyen de preuve.
- Question juridique principale : La rupture pour faute grave de deux contrats distincts liant un joueur à son club peut-elle être justifiée par des manquements ne se rapportant qu'à l'un des deux contrats, et la non-rémunération du contrat de sportif, dont l'existence est contestée par le club, est-elle constitutive de travail dissimulé ?
- Exposé du litige : Un joueur, lié à son club par un CDD spécifique de sportif et un contrat de professionnalisation, a vu ses deux contrats rompus pour faute grave. Le Conseil de prud'hommes avait jugé la rupture du contrat de professionnalisation abusive mais avait débouté le joueur de ses demandes relatives au CDD de sportif. Le joueur interjette appel pour obtenir le paiement des salaires dus au titre du CDD de sportif et la reconnaissance du travail dissimulé. Le club forme un appel incident pour faire reconnaître la faute grave pour les deux contrats.
2. ANALYSE DES MOTIFS
A. Sur la recevabilité du procès-verbal de constat (enregistrement clandestin)
La Cour examine d'abord la demande du club d'écarter des débats un procès-verbal de constat retranscrivant un enregistrement audio réalisé par le joueur à l'insu des dirigeants. 🔍 Sur le fondement de l'article 9 du Code de procédure civile et de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH, la Cour procède à une mise en balance entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée. Elle constate que si le moyen de preuve est illicite dans son obtention, son contenu est strictement professionnel et ne porte pas atteinte à la vie privée des dirigeants. La production de cette pièce étant jugée pertinente pour la solution du litige, la Cour la déclare recevable.
"Le droit à la preuve de M. [C] [L] justifie donc la production de cette pièce au débat laquelle ne porte pas atteinte à la vie privée des deux interlocuteurs de M. [C] [L] au cours de cette réunion. Le procès-verbal ne sera donc pas écarté des débats." (Réponse de la cour, p. 12)
➡️ Cette décision réaffirme la primauté du droit à la preuve dans un litige prud'homal lorsque l'atteinte aux droits antinomiques est jugée proportionnée et que la preuve est indispensable à l'exercice des droits du salarié.
B. Sur l'existence et l'exécution du CDD de sportif professionnel
La Cour analyse ensuite la demande de rappel de salaire au titre du CDD spécifique de sportif. ❌ Le club soutenait que ce CDD avait été "substitué" par le contrat de professionnalisation et n'avait pas vocation à être exécuté ni rémunéré cumulativement. ✅ La Cour rejette cette argumentation. En s'appuyant sur le principe selon lequel la preuve du caractère fictif d'un contrat apparent incombe à celui qui l'invoque, elle constate que le club ne démontre ni la rupture, ni le caractère fictif, ni l'accord des parties sur une substitution. Au contraire, la Cour relève plusieurs éléments matériels prouvant l'exécution effective du contrat de sportif : 1️⃣ La participation du joueur à des matchs officiels (feuilles de match). 2️⃣ Des attestations confirmant sa présence sur le terrain et sur le banc. 3️⃣ La retranscription de l'enregistrement où les dirigeants évoquent son recrutement en tant que joueur. 4️⃣ Les SMS de l'entraîneur lui confiant des missions d'assistant-coach et de statisticien durant sa blessure. Sur le fondement de l'article L. 222-3 du Code du sport et des règles probatoires, la Cour conclut que le contrat a bien été exécuté.
"Au final, en présence d'un contrat de travail écrit conclu avec M. [C] [L] le 03 juin 2022, l'association Union Sportive [Localité 4] Basket ne rapporte pas la preuve que ce contrat aurait été rompu avant la conclusion du contrat de professionnalisation, qu'il présentait un caractère fictif ou qu'il aurait été substitué par le contrat de professionnalisation, alors que M. [C] [L] apporte des éléments qui établissent suffisamment qu'il a exécuté ce contrat..." (Réponse de la cour, p. 20)
➡️ Il est jugé que le joueur est fondé à réclamer les salaires dus au titre de ce contrat, et la Cour condamne le club en conséquence, infirmant le jugement de première instance sur ce point.
C. Sur la qualification de travail dissimulé
Conséquence directe de la reconnaissance de l'exécution du CDD, la Cour examine la demande d'indemnité pour travail dissimulé. 🔍 Sur le fondement de l'article L. 8221-5 du Code du travail, qui répute travail dissimulé la soustraction intentionnelle à la déclaration préalable à l'embauche et à la remise de bulletins de paie, la Cour retient l'élément intentionnel du manquement de l'employeur. Le fait d'avoir sciemment engagé le joueur en qualité de professionnel sans effectuer les déclarations sociales afférentes ni lui verser la rémunération correspondante caractérise la volonté de l'employeur d'éluder ses obligations.
"M. [C] [L] a été sciemment engagé en qualité de joueur professionnel, sans bénéficier d'une déclaration régulière auprès des organismes sociaux et en ne recevant pas la rémunération minimale à laquelle il pouvait prétendre (...). Il s'en déduit que l'employeur a manifestement cherché à éluder les cotisations sociales auxquelles il était tenu." (Réponse de la cour, p. 22)
➡️ Le club est condamné au paiement de l'indemnité forfaitaire de six mois de salaire prévue par l'article L. 8223-1 du Code du travail.
D. Sur la rupture des contrats : une analyse distincte
La Cour procède à une analyse scindée de la rupture des deux contrats, bien qu'intervenue par une seule et même lettre. La rupture du contrat de professionnalisation : une faute grave validée La lettre de rupture invoquait trois griefs : 1️⃣ menaces envers l'entraîneur, 2️⃣ attitude désinvolte et 3️⃣ absences injustifiées et critiques vis-à-vis de l'organisme de formation. ⚖️ La Cour écarte les deux premiers griefs, les jugeant insuffisamment prouvés, les attestations produites étant soit non circonstanciées, soit émanant de la "supposée victime" sans corroboration externe. En revanche, elle retient le troisième grief. Sur la base des courriels du centre de formation et d'un bilan pédagogique, elle établit que le joueur a manqué de manière répétée à ses obligations de formation (absences aux cours en ligne, non-restitution des devoirs, absence aux partiels). Sur le fondement de l'article L. 1243-1 du Code du travail, la Cour qualifie ces manquements de faute grave, justifiant la rupture anticipée du contrat de professionnalisation.
"Ces faits caractérisent une faute grave qui justifient la rupture du contrat de professionnalisation." (Réponse de la cour, p. 34)
➡️ Le manquement à l'obligation principale d'un contrat de professionnalisation, à savoir le suivi assidu de la formation, constitue une faute grave. La rupture du CDD spécifique de sportif : une rupture jugée abusive La Cour opère ensuite une disjonction logique cruciale. Elle juge que les manquements retenus (liés à la formation) sont sans rapport avec l'exécution du contrat de travail de sportif professionnel. Les griefs fondant la faute grave étant exclusivement liés au contrat de formation, ils ne peuvent justifier la rupture du CDD de sportif.
"Par contre les griefs se rapportant à la rupture du contrat à durée déterminée spécifique ne sont pas établis en sorte que la rupture est abusive." (Réponse de la cour, p. 34)
➡️ ➡️ Cette dissociation des causes de rupture est un point central de l'arrêt. La Cour juge la rupture du CDD de sportif abusive et alloue au joueur les dommages et intérêts prévus à l'article L. 1243-4 du Code du travail, correspondant aux salaires qu'il aurait perçus jusqu'au terme du contrat.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
Extrait principal de la décision : "Au final, en présence d'un contrat de travail écrit conclu avec M. [C] [L] le 03 juin 2022, l'association Union Sportive [Localité 4] Basket ne rapporte pas la preuve que ce contrat aurait été rompu avant la conclusion du contrat de professionnalisation, qu'il présentait un caractère fictif ou qu'il aurait été substitué par le contrat de professionnalisation, alors que M. [C] [L] apporte des éléments qui établissent suffisamment qu'il a exécuté ce contrat en participant notamment à des rencontres sur le terrain et sur le banc, et à des entraînements et en effectuant d'autres tâches notamment pendant sa période d'immobilisation, au profit du club." (Réponse de la cour, p. 20)
4. POINTS DE DROIT
- ⚖️ Preuve déloyale : L'enregistrement d'une conversation à caractère professionnel, même obtenu clandestinement, est recevable s'il est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte portée aux autres droits est proportionnée.
- 🎯 Exécution du contrat de travail : En présence d'un contrat de travail écrit, il appartient à l'employeur qui en invoque le caractère fictif ou la substitution par un autre contrat d'en rapporter la preuve. La simple affirmation de l'existence d'un accord est inopérante.
- 🔗 Travail dissimulé : La non-déclaration et la non-rémunération d'un CDD de sportif professionnel exécuté, au profit d'un contrat de professionnalisation déclaré, caractérise l'élément intentionnel de la dissimulation d'emploi salarié au sens de l'article L. 8221-5 du Code du travail.
- 👨⚖️ Pluralité de contrats et rupture : En cas de pluralité de contrats de travail entre un salarié et un même employeur, les motifs de rupture d'un contrat doivent être appréciés au regard des obligations spécifiques de ce contrat. Une faute grave commise dans l'exécution d'un contrat (ici, de professionnalisation) ne justifie pas de facto la rupture pour faute grave d'un autre contrat (ici, de sportif) si les manquements ne concernent pas l'exécution de ce dernier.
Mots clés
CDD spécifique de sportif, contrat de professionnalisation, rupture abusive, faute grave, travail dissimulé, preuve déloyale, exécution du contrat de travail, rappel de salaire, Code du sport, obligation de formation
NB : 🤖 résumé généré par IA