23/08517
Résumé
En bref
La Cour d'appel de Paris (Pôle 5 - Chambre 4), par arrêt du 7 mai 2025, a jugé que les articles 3.2.1 et 3.2.3 des statuts de l'association Rugby Europe constituaient une décision d'association d'entreprises ayant un objet anticoncurrentiel, en violation de l'article 101 du TFUE et de l'article L 420-1 du Code de commerce. En conséquence, la Cour a prononcé leur nullité, tout en rejetant la demande d'affiliation d'office de la Gibraltar Rugby Football Union (GRFU) et la nullité globale de l'article 3.2.
En détail
Parties en présence :
L’affaire oppose l’association Gibraltar Rugby Football Union (GRFU), fédération de rugby régie par le droit de Gibraltar, à l’association Rugby Europe, association française chargée de l’organisation du rugby au niveau européen.
Principaux problèmes juridiques et question principale :
L'objet du litige portait sur la possibilité pour la GRFU de devenir membre de Rugby Europe alors que l'article 3.2.1 de ses statuts limite l'affiliation aux fédérations relevant d'un État membre de l'ONU ou reconnues par un Comité National Olympique affilié au CIO. La question était de savoir si cette clause, et le régime dérogatoire (art. 3.2.3), constituent une entente au sens du droit de la concurrence et sont, de ce fait, nulles.
Exposé du litige, faits et arguments :
La GRFU, n’étant ni d’un État membre de l'ONU, ni reconnue par un CNO, mais autonome, ne saurait adhérer à Rugby Europe, qui dispose d’un monopole régional reconnu par World Rugby. Elle invoquait le caractère discriminatoire et anticoncurrentiel de ces statuts, sollicitant son affiliation d’office et, subsidiairement, la nullité ou l’inopposabilité de ces clauses. Rugby Europe répliquait que ses critères reposaient sur des considérations géopolitiques et sur la nécessité de se conformer à la Charte Olympique et aux statuts de World Rugby, contestant tout effet restrictif sur le marché et toute discrimination.
Motivation de la Cour :
- Marché pertinent, activité économique et entreprise : Sur le fondement de l'article 101 du TFUE et de l'article L 420-1 du Code de commerce, la Cour rappelle que Rugby Europe exerce une activité économique via l'organisation et la commercialisation des compétitions, avec recettes substantielles issues de droits commerciaux. Elle qualifie Rugby Europe d'« entreprise » au sens du droit de la concurrence, malgré son statut associatif et le caractère non lucratif affiché, en application de la jurisprudence européenne (CJCE, Klaus Höfner, 23 avril 1991), et retient l'existence d'un marché européen pertinent.
- Décision d'association d'entreprises et objet anticoncurrentiel : La Cour relève que les clauses litigieuses procèdent d'une « décision d'association d'entreprises » et qu'en l'absence de justification sportive ou économique légitime elles entravent arbitrairement l'accès au marché pour la GRFU. Sur le fondement de l'article 101 du TFUE et de l'arrêt CJUE Superleague (C-333/21), la Cour juge la clause statutaire « purement discrétionnaire et, partant, discriminatoire » et donc « anticoncurrentielle par objet ».
- Sanction et portée : La nullité de plein droit des articles 3.2.1 et 3.2.3 est prononcée, en application de l'article 101, §2 du TFUE et de l'article L 420-3 du Code de commerce. La demande d'affiliation d'office est rejetée, la Cour ne pouvant se substituer aux organes délibérants de l'association Rugby Europe ; la nullité de l'ensemble de l'article 3.2 est aussi rejetée, les stipulations contestées étant dissociables et l'objet du litige limité. Rugby Europe est condamnée aux dépens et à payer 15 000 € à la GRFU au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Extrait de la décision :
« Dès lors, si le critère alternatif posé par l'article 3.2.1 des statuts de l'association Rugby Europe est prima facie objectif et transparent en ce que sa signification est claire et qu'il est connu de tous, il ne sert aucun objectif sportif identifié et ne répond à aucune logique économique légitime. Ne servant pas d'intérêt légitime, il apparaît arbitraire, purement discrétionnaire et, partant, discriminatoire. Aussi, au regard des conséquences radicales de son application sur l'accès au marché pertinent et de l'absence de toute alternative offerte à l'association GRFU, il est anticoncurrentiel par objet. »
Mots clés
décision d’association d’entreprises, objet anticoncurrentiel, marché pertinent, activité économique, droit de la concurrence, discrimination, nullité de la clause statutaire, spécificité sportive, entente prohibée, accès au marché sportif.