23/02042
Résumé
En bref
La Cour d'appel de Pau infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Dax et requalifie en contrat de travail à durée indéterminée la convention d'indemnisation forfaitaire d'un joueur de basketball. Sur le fondement de l'article L.1221-1 du Code du travail et des articles L.222-2 et suivants du Code du sport, la Cour retient l'existence des trois critères constitutifs du contrat de travail : prestation de travail (participation aux entraînements et matchs), rémunération substantielle (2600€/mois) et lien de subordination (planning imposé, pouvoir disciplinaire). L'association est condamnée au paiement de diverses indemnités mais certaines demandes sont rejetées.
En détail
Parties impliquées
- Appelant : Monsieur [W] [S], joueur de basketball
- Intimées : Association l'Union [Localité 10] Gamarde Basket, SELARL EKIP (liquidateur judiciaire), AGS CGEA
Problèmes juridiques principaux
- Requalification d'une convention d'indemnisation en contrat de travail
- Caractérisation des critères constitutifs du contrat de travail dans le sport
- Application du régime juridique du sportif professionnel salarié
- Calcul des indemnités résultant de la requalification
Question juridique centrale
La convention d'indemnisation forfaitaire mensuelle conclue entre un joueur de basketball et son club constitue-t-elle un contrat de travail au sens du droit commun et du droit du sport ?
Exposé du litige et faits
M. [S] avait conclu avec l'Union [Localité 10] Gamarde Basket une "convention de mise en place d'une indemnité forfaitaire mensuelle" le 30 mai 2018, prévoyant le versement de 2600 euros nets mensuels pour les saisons 2018/2019 et 2019/2020. Cette convention imposait au joueur diverses obligations : participation aux entraînements et matchs, représentation du club, respect d'un planning. Le conseil de prud'hommes de Dax avait rejeté sa demande de requalification en contrat de travail, constatant l'absence de relation de travail.
Arguments des parties
M. [S] soutenait que la convention constituait un contrat de travail caractérisé par une prestation de travail (participation aux entraînements et matchs), une rémunération régulière et un lien de subordination (soumission aux ordres de l'entraîneur et du président, respect du planning).
L'association opposait l'absence de lien de subordination et l'absence de pouvoir disciplinaire, arguant que la somme versée avait la nature d'indemnité et non de salaire.
Motifs de la décision
I. Sur la nature de la relation contractuelle
La Cour rappelle les principes fondamentaux du droit du travail. Sur le fondement de l'article L.1221-1 du Code du travail, "le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s'engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d'une autre sous la subordination de laquelle elle se place". L'existence d'une relation de travail salarié suppose la démonstration de trois critères cumulatifs : l'exécution d'un travail, le versement d'une rémunération et un lien de subordination.
Premier critère - Prestation de travail : La Cour constate que le sportif pratiquant son activité moyennant le versement d'une somme d'argent exécute un travail. Elle se réfère à la Convention collective nationale du sport, article 12.3.1.1, définissant cette prestation comme une mise à disposition des compétences, du potentiel physique et des acquis techniques. En l'espèce, la convention listait précisément les obligations de M. [S] : participation à l'intégralité des entraînements, matchs de championnat, de coupe et de préparation, représentation auprès des sponsors, participation aux manifestations sportives de la ville.
Deuxième critère - Rémunération : La somme forfaitaire de 2600 euros nets mensuels dépassait largement la simple indemnisation des trajets et primes de match pour un club évoluant en nationale 2. L'association considérait d'ailleurs cette activité, aux termes de la convention, comme étant sa "profession".
Troisième critère - Lien de subordination : La Cour retient de manière particulièrement détaillée l'existence de ce lien. M. [S] devait respecter les plannings remis à la semaine sur lesquels figuraient les entraînements, matchs et déplacements. Les témoignages de basketteurs professionnels attestent qu'ils étaient "soumis à des horaires d'entraînements et de matchs qu'ils devaient impérativement respecter" et que "toutes absences devaient être justifiées". Bien que la convention ne prévoyait pas expressément de sanctions, les témoignages démontrent que des sanctions auraient pu être prononcées en cas de retard ou d'absence, caractérisant un pouvoir disciplinaire de fait.
II. Sur la requalification en contrat à durée indéterminée
Sur le fondement des articles L.222-2 et suivants du Code du sport, la Cour rappelle que tout contrat par lequel une association sportive s'assure le concours d'un sportif professionnel est par principe un contrat de travail à durée déterminée (article L.222-2-3 du Code du sport).
Cependant, l'article L.222-2-5 I du Code du sport exige que le contrat soit établi par écrit et comporte des mentions obligatoires spécifiques. L'article L.222-2-8 I prévoit qu'"est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des règles de fond et de forme".
En l'espèce, la convention ne comportait pas les mentions exigées, notamment la mention des articles L.222-2 à L.222-2-8 du Code du sport. En conséquence, le contrat est réputé à durée indéterminée depuis le 1er août 2018.
III. Sur les conséquences financières
Indemnité de requalification : Sur le fondement de l'article L.1245-1 du Code du travail, M. [S] obtient une indemnité de requalification fixée à 500 euros.
Qualification de la rupture : La fin du contrat survenue le 31 mai 2020 est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut de mise en œuvre d'une procédure de licenciement.
Indemnité compensatrice de préavis : Sur le fondement des articles L.1234-1 et L.1234-5 du Code du travail et de l'article 4.4.3.2 de la convention collective nationale du sport, M. [S] obtient 3333 euros bruts plus 399,96 euros pour les congés payés afférents.
Indemnité de licenciement : Sur le fondement des articles L.1234-9 et R.1234-1 du Code du travail, l'indemnité est fixée à 1527,62 euros.
Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : Sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du travail, compte tenu de l'ancienneté et de la situation de M. [S], l'indemnité est fixée à 3350 euros.
Rappels de salaires : Pour la période du 1er août 2019 au 31 mai 2020, M. [S] obtient 10 333,20 euros nets plus 1239,98 euros pour les congés payés, correspondant à la différence entre les sommes perçues (15 666,80 euros) et dues (26 000 euros).
IV. Sur les demandes rejetées
Travail dissimulé : Sur le fondement de l'article L.8221-5 du Code du travail, la Cour rejette cette demande, M. [S] n'apportant pas la preuve du caractère intentionnel de l'inaction de l'employeur concernant la déclaration préalable à l'embauche.
Salaires juin-juillet 2019 : M. [S] n'apporte aucun élément démontrant qu'il se trouvait à la disposition de son employeur durant cette période.
Indemnité pour non-respect de la garantie d'emploi : Cette demande est infondée dès lors que la relation contractuelle a duré plus d'un an et que sa rupture constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Extrait significatif de la décision
"Tous ces éléments permettent de conclure que M. [S] effectuait une prestation de travail au profit de l'union [Localité 10] Gamarde Basket, selon les directives de celle-ci telles qu'elles résultent des plannings imposés que lui-même ne maîtrisait pas, contre une rémunération équivalente à un salaire et sous la menace de sanctions en cas de non-respect des obligations imposées."
La décision illustre l'importance du formalisme : l'absence des mentions obligatoires de l'article L.222-2-5 I du Code du sport entraîne automatiquement la requalification en CDI par application de l'article L.222-2-8 I.
Elle rappelle également la rigueur probatoire exigée pour caractériser le travail dissimulé, notamment l'élément intentionnel, simple négligence étant insuffisante.
Mots clés
Contrat de travail sportif, requalification, lien de subordination, basketball professionnel, Convention collective nationale du sport, articles L.222-2 et suivants du Code du sport, sportif professionnel salarié, contrat à durée indéterminée, licenciement sans cause réelle et sérieuse, travail dissimulé