24/00564
Résumé
En bref
La Cour infirme partiellement le jugement de première instance dans un litige opposant un footballeur professionnel à sa société d'agent sportif pour rupture abusive de contrat. Rejette l'application de l'article 1171 du Code civil invoqué pour déséquilibre significatif, qualifiant le contrat de mandat d'intérêt commun et non de contrat d'adhésion. Confirme la rupture abusive mais modère les sanctions sur le fondement de l'article 1231-5 du Code civil : clause pénale réduite de 110.070€ à 27.125€ et préjudice moral de 6.000€ à 3.000€. Rejette la demande reconventionnelle du joueur.
En détail
Parties impliquées
L'affaire oppose M. [P] [B], footballeur professionnel, à la SARL ASI MANAGEMENT AGENCY SPORTS INTERNATIONAL MANAGEMENT, société d'agent sportif dirigée par M. [W] [N], titulaire de la licence d'agent sportif.
Problématiques juridiques principales
La décision soulève plusieurs questions juridiques fondamentales :
- La qualification contractuelle du contrat d'agent sportif (contrat d'adhésion vs mandat d'intérêt commun)
- L'application de l'article 1171 du Code civil relatif au déséquilibre significatif
- La caractérisation de la rupture abusive et ses conséquences indemnitaires
- La modération des clauses pénales sur le fondement de l'article 1231-5 du Code civil
Question juridique centrale
La résiliation unilatérale par un footballeur professionnel de son contrat d'agent sportif peut-elle être légitimée par l'invocation d'un déséquilibre significatif au sens de l'article 1171 du Code civil, et dans quelle mesure les sanctions contractuelles peuvent-elles être modérées ?
Exposé du litige et faits
Le 10 avril 2017, M. [B] a conclu un contrat d'agent sportif avec ASI MANAGEMENT pour une durée déterminée d'un an, prorogé jusqu'au 29 mai 2019 par avenant du 30 mai 2017. Ce contrat confie à titre exclusif la gestion des intérêts du footballeur concernant sa carrière professionnelle, avec une commission de 7% sur l'intégralité de ses revenus.
Grâce à ce contrat, M. [B] a été engagé au CLERMONT FOOT 63 (Ligue 2) à compter du 1er juillet 2017. Toutefois, par lettre recommandée du 1er mai 2018, M. [B] a notifié sa résiliation unilatérale du contrat, invoquant son mécontentement concernant sa revalorisation salariale et son souhait d'intégrer un club de première division européenne.
Postérieurement à cette résiliation, M. [B] a confié la gestion de sa carrière à un avocat exerçant une activité de mandataire sportif et a été recruté par le club néerlandais d'Utrecht (31 juillet 2018), puis par le STANDARD DE LIÈGE et enfin le FORTUNA DÜSSELDORF.
Arguments des parties
M. [B] (appelant) soutenait principalement que :
- Le contrat était affecté d'un déséquilibre significatif relevant de l'article 1171 du Code civil
- L'article 5 du contrat (clauses de résiliation) devait être réputé non écrit
- Sa résiliation était légitime au regard des manquements de l'agent
- À titre subsidiaire, la clause pénale devait être modérée à 27.125€
ASI MANAGEMENT (intimée) arguait de :
- L'inexistence d'un déséquilibre significatif, le contrat n'étant pas d'adhésion
- L'accomplissement de ses obligations contractuelles de diligence
- La légitimité de la clause pénale de 110.070€ prévue contractuellement
- L'existence d'un préjudice moral justifiant réparation
Motivations de la Cour d'appel
Sur la qualification contractuelle et l'article 1171 du Code civil
Sur le fondement des articles 1171 et 2004 du Code civil, la Cour confirme la qualification de mandat d'intérêt commun retenue en première instance. Elle écarte définitivement la qualification de contrat d'adhésion en relevant l'absence de référence formelle à des conditions générales préétablies et surtout la libre modification du contrat par les deux avenants successifs, démontrant que des négociations ont eu lieu et que le contrat a été adapté à la situation particulière du joueur.
La Cour précise que dans ce type de contrat, l'agent sportif a un intérêt certain à assurer l'essor de carrière du joueur avec des incidences économiques directes tant sur ses commissionnements que sur la promotion de sa propre activité. En conséquence, les dispositions de l'article 1171 du Code civil n'apparaissent pas applicables, et par dérogation à l'article 2004 du Code civil, des stipulations restrictives peuvent licitement être apportées au contrat d'intérêt commun.
La Cour analyse minutieusement les clauses de résiliation contestées et conclut qu'il apparaît pleinement légitime, et donc aucunement déséquilibré, que l'agent sportif puisse se réserver une possibilité particulière de résiliation anticipée dans certaines hypothèses objectives (non-respect de la réglementation, fautes graves, force majeure).
Sur la caractérisation de la rupture abusive
Sur le fondement des articles L.222-1 et suivants du Code du sport, la Cour examine les obligations de l'agent sportif, rappelant qu'il n'est assujetti qu'à une obligation de moyens compte tenu des forts aléas existant dans l'évolution de la carrière des joueurs et la vie des clubs sportifs.
La Cour constate qu'ASI MANAGEMENT avait rempli ses obligations normales de diligences : recrutement de M. [B] moins de deux mois après la signature du contrat, passage de la troisième à la deuxième division, prolongation contractuelle assurée, statut de footballeur professionnel obtenu pour trois années avec revalorisations, contacts établis avec différents clubs de première et deuxième division.
Aucune preuve n'est rapportée par M. [B] démontrant que la société ASI aurait été dans l'incapacité d'offrir de meilleures perspectives. La Cour souligne qu'à peine plus d'une année s'est écoulée entre l'accession au statut professionnel et la résiliation unilatérale, rendant cette résiliation brusque et unilatérale abusive.
Sur la modération de la clause pénale
Sur le fondement de l'article 1231-5 du Code civil, la Cour examine la demande subsidiaire de modération de la clause pénale. Elle juge cette demande recevable malgré sa présentation en appel, l'effet modérateur pouvant être assimilé à l'opposition d'une compensation partielle.
La clause pénale initiale de 110.070€ était calculée sur 10% des sommes à percevoir par le joueur au titre de son nouveau contrat (assiette de 1.500.700€ de cumul de salaires du club d'Utrecht). La Cour précise que l'article 7.6 du contrat ne précisant pas la durée des rémunérations servant d'assiette, il convient d'en limiter la durée à une année en vertu du pouvoir de modération des clauses pénales.
Sur cette base, M. [B] ayant perçu 271.250€ au club d'Utrecht du 31 juillet 2018 au 29 mai 2019, la clause pénale est réduite à 27.125€ (10% de cette somme).
Sur le préjudice moral
La Cour reconnaît que les conditions dépourvues de préavis et de motifs légitimes de la résiliation ont occasionné un préjudice moral de contrariétés et tracasseries à ASI MANAGEMENT. Cependant, aucun élément ne permet d'inférer que cette résiliation a été infamante ou a impacté l'image et la réputation de la société. Les dommages-intérêts sont réduits de 6.000€ à 3.000€.
Extrait significatif de la décision
Extrait de la décision :
"En effet, il apparaît pleinement légitime, et donc aucunement déséquilibré, que l'agent sportif puisse se réserver une possibilité particulière de résiliation anticipée dans l'hypothèse où le joueur ne se conformerait pas à la réglementation en vigueur ou au règlement du club qui l'embauche ou dans celle où il commettrait des fautes graves portant gravement atteinte à son image et à sa notoriété"
Dispositif et portée de la décision
La Cour infirme partiellement le jugement de première instance et :
- CONDAMNE M. [B] à payer 27.125€ au titre de la clause pénale (au lieu de 110.070€)
- CONDAMNE M. [B] à payer 3.000€ au titre du préjudice moral (au lieu de 6.000€)
- CONFIRME le jugement sur les autres dispositions
- REJETTE la demande reconventionnelle de M. [B]
Points de droit et répercussions
Cette décision établit plusieurs principes :
Sur la qualification des contrats d'agent sportif : Les contrats d'agent sportif négociés et adaptés à la situation particulière du joueur relèvent de la qualification de mandat d'intérêt commun et échappent à l'article 1171 du Code civil.
Sur l'équilibre contractuel : Les stipulations restrictives de résiliation dans les contrats d'agent sportif sont licites dès lors qu'elles reposent sur des critères objectifs et s'appliquent de manière équilibrée aux deux parties.
Sur les obligations de l'agent sportif : L'agent sportif n'est tenu que d'une obligation de moyens adaptée aux aléas du milieu sportif professionnel, et la réussite économique ultérieure du sportif ne remet pas en cause l'accomplissement de ces obligations.
Sur la modération des clauses pénales : Les tribunaux exercent un contrôle strict sur l'assiette et la durée de calcul des clauses pénales dans les contrats sportifs, privilégiant une approche temporelle limitée à une année en l'absence de précision contractuelle.
Mots clés
Mandat d'intérêt commun, déséquilibre significatif, clause pénale, agent sportif, rupture abusive, obligation de moyens, modération judiciaire, contrat d'adhésion, préjudice moral, footballeur professionnel
NB : 🤖 résumé généré par IA