23/02619
Résumé
En bref
Le 9 avril 2025, la Cour d'appel de Toulouse, sur le fondement des articles L222-7, L222-17 du Code du sport et des articles 1991, 1992, 2003 et 2004 du Code civil, infirme partiellement le jugement de première instance et retient que la révocation du mandat d'intérêt commun liant le joueur professionnel à son agent sportif est intervenue aux torts exclusifs du joueur, faute de cause légitime. La Cour condamne le joueur à verser à la société de l’agent sportif une indemnité provisionnelle de 31.500 euros (prime à la signature) et 64.260 euros (salaire annuel brut) et ordonne la production du contrat de travail litigieux.
En détail
Parties en présence
- Appelants : M. [G] [T] (agent sportif, président de la SAS Sagaa) et la SAS Sagaa
- Intimé : M. [V] [E] (joueur professionnel de football)
Question juridique principale
La révocation du mandat d’intérêt commun par le joueur était-elle justifiée par une cause légitime, et à défaut, quelles sont les conséquences indemnitaires pour l’agent sportif ?
Exposé du litige, faits et arguments
Un contrat de management exclusif (mandat d’intérêt commun) a été conclu entre le joueur et la société d’agent sportif, pour deux ans. Le joueur a révoqué ce mandat par lettre du 28 novembre 2022, invoquant une perte de confiance, un défaut de conseil fiscal et un manquement à ses instructions. L’agent sportif a contesté la légitimité de cette révocation et sollicité l’indemnisation prévue contractuellement. Le tribunal judiciaire avait retenu la faute de l’agent et débouté ce dernier de ses demandes indemnitaires.
Motifs de la décision
1. Qualification du mandat et conditions de révocation
Sur le fondement des articles L222-7 et suivants du Code du sport et des articles 2003 et 2004 du Code civil, la Cour rappelle que le mandat d’intérêt commun ne peut être révoqué que d’un commun accord ou pour cause légitime. La simple perte de confiance, non assortie de griefs précis, ne constitue pas une cause légitime. La Cour relève que le joueur, sur de simples allégations, a demandé à l’agent de ne plus intervenir, alors que le mandat n’était pas révoqué, ce qui contrevient à l’exécution de bonne foi du contrat.
2. Exécution loyale du mandat et obligations de conseil
Sur le fondement de l’article 1991 et 1992 du Code civil, la Cour examine les griefs faits par le joueur :
- Manquement à la loyauté : L’agent a poursuivi sa mission malgré l’interdiction faite par le joueur, mais la Cour estime que cette attitude était conforme à la finalité commune du mandat, la simple perte de confiance ne pouvant justifier l’arrêt de la mission. En conséquence, l’agent n’a pas eu un comportement déloyal en ne suivant pas l’instruction, faite par le joueur, d’interrompre sa mission.
- Obligation de conseil fiscal : L’agent aurait dû informer le joueur de l’impact fiscal de la prise en charge d’une partie de sa commission par le club. Toutefois, l’absence de préjudice démontré (l’impôt légalement dû n’étant pas un préjudice indemnisable) exclut la faute génératrice d’une cause légitime de révocation du mandat d’intérêt commun.
- Obligation de conseil en assurance : La Cour constate que l’information sur l’assurance a été délivrée par le club et la LFP, et que l’agent n’était pas tenu à une telle obligation.
3. Conséquences indemnitaires
Sur le fondement de l’article 5 du contrat et des principes du mandat d’intérêt commun, la Cour retient que la révocation sans cause légitime ouvre droit à indemnisation pour l’agent sportif. La clause pénale n’est pas applicable, le mandat ayant été révoqué avant la signature des nouveaux contrats. La Cour évalue la perte de chance de l’agent à 90 % de la commission sur la prime à la signature (31.500 €) et sur le salaire brut (64.260 €), et ordonne la production du contrat de travail avec le nouveau club.
4. Secret des affaires et droit à la preuve
Sur le fondement de l’article L151-1 du Code de commerce et de l’article 6 §1 de la CEDH, la Cour ordonne la production du contrat de travail litigieux, estimant que le droit à la preuve prime sur le secret des affaires dans ce contexte.
5. Préjudice moral et d’image
La Cour déboute l’agent sportif de ses demandes à ce titre, faute de preuve.
Extrait de la décision :
« Le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, constitue une faute grave. [...] La simple allégation d'une perte de confiance ne justifiait pas que le mandant demande au mandataire de cesser d'exécuter le mandat d'intérêt commun. [...] M. [T] n'a donc pas eu un comportement déloyal envers le mandant en ne suivant pas ses instructions qui allaient à l'encontre de la finalité commune du mandat. »
Mots clés
mandat d’intérêt commun, agent sportif, cause légitime de révocation, obligation de loyauté, obligation de conseil, clause d’exclusivité, clause pénale, perte de chance, secret des affaires, indemnisation provisionnelle