23-18.728
Résumé
En bref
Le 19 mars 2025, la Cour de cassation a partiellement cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris concernant une action en atteinte à la renommée de la marque « Tour de France » (article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169). Elle a jugé que la renommée d'une marque peut s'étendre au-delà du public concerné par ses produits ou services, et que l'analyse des atteintes à cette renommée doit être menée sans prendre en compte les conditions d'exploitation des marques.
En détail
Parties impliquées
- Demanderesses au pourvoi principal : Société du Tour de France (STF) et Amaury Sport Organisation (ASO).
- Défendeurs au pourvoi principal et demandeurs au pourvoi incident : M. [X] [B], Mme [B] [U], M. [R] [B], les sociétés Alphand Événements et Alphand et l’association Respectons la terre.
Problèmes juridiques en jeu
Renommée de la marque « Tour de France » : La question portait sur l'étendue de la protection conférée par la renommée d'une marque et les critères d'évaluation d'une atteinte à cette renommée.
Résumé des faits et de la motivation de la cour d’appel
La Société du Tour de France, titulaire depuis 1977 de la marque « Tour de France », et ASO, exploitante en vertu d'une licence, ont intenté une action contre M. [X] [B], titulaire depuis 2016 de la marque semi-figurative « Tour de France à la rame ». Elles alléguaient une atteinte à la renommée de leur marque. En défense, M. [X] [B] et ses co-intimés ont demandé reconventionnellement la déchéance de la marque "Tour de France".
La cour d'appel a rejeté les demandes des demanderesses, estimant que leur marque jouissait d'une renommée pour l'organisation d'épreuves cyclistes et non pour les autres services de la classe 41. Par ailleurs, la cour d'appel a considéré que la similarité conceptuelle entre les deux marques était faible et qu'elles se distinguaient par le fait que la marque antérieure est renommée pour une course cycliste et non un périple effectué en bateau à rames. Enfin, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas démontré un risque de dilution de la marque « Tour de France » dès lors que la protection qui s'y attachait ne pouvait pas faire obstacle à l'utilisation de l'expression « tour de France » dans son acception usuelle.
Motifs retenus par la Cour de cassation
- Renommée étendue au-delà du public concerné
- Erreur dans l’appréciation des similitudes entre marques
- Risque non analysé correctement
Sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière des directives européennes (notamment l'article 4, paragraphe 4, sous a), directive 2008/95/CE), la Cour rappelle que certaines marques jouissent d'une renommée exceptionnelle qui dépasse leur public cible initial, leur permettant de bénéficier d'une protection étendue vis-à-vis des marques postérieures, y compris si ces marques portent sur des produits ou services différents, afin d’éviter que le public n’établisse un lien entre celles-ci. Les constatations factuelles relatives à l'exposition médiatique et à l'audience massive du « Tour de France » démontraient que cette marque bénéficie d’une telle renommée.
La Cour reproche à l’arrêt attaqué d’avoir pris en compte les conditions d’exploitation des marques lors de leur comparaison conceptuelle, alors que seule une analyse intrinsèque des signes est permise (CJUE, arrêt EUIPO/Equivalenza Manufactory, C-328/18 P).
La Cour rappelle que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’exploitation de la marque “Tour de France à la rame” ne risquait pas d’affaiblir le caractère distinctif de la marque “Tour de France”, en laissant le public penser que ces termes seraient génériques.
Extrait principal de la décision :
« […] en postulant que la renommée d'une marque est nécessairement cantonnée au public concerné par les produits ou services pour lesquels cette renommée a été acquise, cependant qu'elle relevait que la marque « Tour de France » a été déposée en 1977, que l'événement qu'elle désigne, […] est qualifié de « troisième événement sportif mondial » […], ce dont il se déduisait que la renommée de cette marque est d'une intensité si exceptionnelle qu'elle est connue de la totalité du public français, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations »
Décision finale
La Cour casse partiellement l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette les demandes fondées sur l’atteinte à la renommée et renvoie l’affaire devant une autre composition de la cour d’appel pour réexamen.
Mots clés
Marque renommée, atteinte à la renommée, article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, similitude entre marques, fonction distinctive, CJUE Intel Corporation C-252/07, dilution du caractère distinctif, protection élargie des marques, conditions d’exploitation, directive 2008/95/CE