2025/A/11124
Résumé
En bref
Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) juge qu'un joueur de football professionnel a résilié son contrat de travail sans juste cause, bien que le club ait commis des manquements substantiels (mise à l'écart et ré-enregistrement en amateur). La décision se fonde sur le fait que le joueur n'a pas respecté la procédure impérative de l'article 11.4 du Règlement de la Fédération Russe de Football sur le Statut et le Transfert des Joueurs (RSTP de la FUR), qui impose un délai de préavis de 10 jours pour permettre au club de remédier à ses manquements. Le TAS considère ce délai comme une garantie juridique fondamentale et non une simple formalité. En conséquence, l'appel est partiellement admis : la demande d'indemnité de résiliation est rejetée, mais le club est condamné à payer un bonus indûment retenu pour un vice de procédure.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : M. Valeriy Chuperka (le Joueur, appelant) contre le FC Kuban (le Club, premier intimé) et la Fédération Russe de Football (la FUR, seconde intimée).
- Principaux problèmes juridiques : Qualification de la résiliation unilatérale du contrat de travail par le Joueur ; existence d'une juste cause au sens de la réglementation sportive ; validité des sanctions disciplinaires et des retenues sur salaire opérées par le Club ; respect des procédures contractuelles et réglementaires de mise en demeure.
- Question juridique principale : La résiliation unilatérale du contrat de travail par le joueur était-elle fondée sur une juste cause au sens des règlements applicables, notamment au regard du non-respect de la procédure de mise en demeure préalable ?
- Exposé du litige : Le litige naît de la décision du Club de placer le Joueur sous un régime d'entraînement individuel, de le priver de participation aux stages de pré-saison, puis de le désinscrire de l'équipe professionnelle pour l'inscrire dans une équipe amateur affiliée. Le Joueur, invoquant une violation substantielle de ses droits et un traitement discriminatoire, a notifié au Club des manquements le 24 février 2024, lui accordant 10 jours pour y remédier. ❌ Cependant, le Joueur a résilié son contrat dès le 27 février 2024. Le Club conteste la juste cause de la résiliation, arguant principalement du non-respect par le Joueur de ce délai de préavis, et justifie les retenues sur bonus par des absences injustifiées. La Chambre de Résolution des Litiges de la FUR (DRC) avait rejeté l'ensemble des demandes du Joueur, qui a interjeté appel devant le TAS.
2. ANALYSE DES MOTIFS
L'Arbitre unique procède à une analyse en deux temps : d'abord, la qualification de la résiliation du contrat, puis l'examen des prétentions financières distinctes du Joueur.
A. Sur la qualification de la résiliation du contrat : l'absence de juste cause en raison d'un vice de procédure
L'Arbitre unique examine si les agissements du Club constituaient un manquement substantiel justifiant une résiliation, avant d'analyser si le Joueur a respecté la procédure requise pour invoquer cette juste cause. 🔍 1️⃣ Existence d'un manquement substantiel du Club L'Arbitre établit d'abord que le comportement du Club constituait effectivement une violation matérielle du contrat de travail. Sur le fondement des articles 11.2.2 et 11.2.3 du RSTP de la FUR, qui définissent comme manquement substantiel la non-inscription d'un joueur en équipe professionnelle et le traitement discriminatoire (entraînement prolongé hors du groupe), l'Arbitre considère que la mise à l'écart du Joueur et son inscription dans une équipe de niveau amateur sans son consentement dépassaient le pouvoir discrétionnaire de l'employeur. Ces actions ont unilatéralement altéré les conditions essentielles de la relation de travail et porté atteinte au statut professionnel du Joueur.
"In the Sole Arbitrator’s view, these actions, taken cumulatively, exceeded the Club’s contractual rights and amounted to an unilateral alteration of essential terms of the employment relationship. The Club’s conduct resulted in a significant deterioration of the Player’s professional status, competitive opportunities, and employment conditions." (Décision, point 73)
➡️ ✅ L'Arbitre conclut donc que le Club a commis des manquements suffisamment graves pour potentiellement fonder une résiliation pour juste cause par le Joueur. 🔍 2️⃣ Non-respect de la procédure de mise en demeure par le Joueur Cependant, l'Arbitre se concentre ensuite sur la procédure suivie par le Joueur. Sur le fondement de l'article 11.4 du RSTP de la FUR, un joueur qui entend résilier son contrat pour manquement substantiel du club doit lui adresser une mise en demeure formelle lui accordant un délai de 10 jours pour remédier à la situation. L'Arbitre souligne que cette exigence n'est pas une simple formalité procédurale, mais une garantie juridique fondamentale visant à préserver la stabilité contractuelle.
"The requirement for a professional football player to serve formal notice to the club before unilaterally terminating the employment contract—pursuant to Article 11.4 of the FUR RSTP—cannot be regarded as a mere procedural formality. Rather, it constitutes a fundamental legal safeguard designed to uphold the principles of contractual good faith, proportionality, and the right to cure." (Décision, point 76)
L'Arbitre constate que le Joueur, après avoir envoyé sa mise en demeure le 24 février 2024, a résilié son contrat le 27 février 2024, privant ainsi le Club de son droit de remédier aux manquements dans le délai imparti. Ce faisant, le Joueur a violé une condition substantielle du mécanisme de résiliation. Cette analyse est renforcée par le principe de l'ultima ratio, selon lequel la résiliation d'un contrat doit toujours être une mesure de dernier ressort, comme le rappelle la jurisprudence constante du TAS.
"A premature termination of an employment contract can always only be an ultima ratio." (Décision, point 85, citant CAS 2014/A/3684 & 3693)
➡️ ❌ Le non-respect de cette procédure impérative vicie la résiliation. Par conséquent, bien que les manquements du Club fussent réels, la résiliation est intervenue sans juste cause, privant le Joueur de son droit à une indemnité de rupture.
B. Sur les prétentions financières pendant l'exécution du contrat
L'Arbitre examine ensuite, de manière indépendante, les créances salariales réclamées par le Joueur.
- ❌ Sur la retenue du bonus de novembre 2023 : L'Arbitre rejette cette demande. Le Joueur n'a pas fourni de justification probante pour son absence à un match officiel. Conformément à l'Annexe 2 du contrat, le Club était en droit d'appliquer une réduction de 100% du bonus discrétionnaire pour absence injustifiée. ⚖️ La charge de la preuve de la justification de l'absence incombait au Joueur. La sanction était donc contractuellement fondée.
- ✅ Sur la retenue du bonus de février 2024 : L'Arbitre accueille cette demande. La sanction (réduction de 100% du bonus) a été imposée le 28 février 2024, alors que le Club avait demandé des explications au Joueur le 27 février en lui laissant jusqu'au 29 février pour répondre. 👨⚖️ En agissant avant l'expiration du délai légal de deux jours, le Club a violé le droit d'être entendu du Joueur, principe fondamental garanti par l'article 193 du Code du travail russe. Ce vice de procédure substantiel entraîne la nullité de la sanction. Le Club est donc condamné à verser le bonus correspondant.
- ❌ Sur la prime unique de performance : L'Arbitre rejette cette demande. La clause 8.4 du contrat subordonnait le versement de cette prime à la participation à 60% des matchs de la saison entière 2023/2024. Le Joueur, ayant quitté le club prématurément, n'a pas rempli cette condition. Le principe pacta sunt servanda impose une application stricte de la clause.
"In the present case, the Club issued a written request for the Player’s explanation on 27 February 2024 [...] However, the Club proceeded to issue the disciplinary order the very next day, on 28 February 2024—before the expiration of the two-working-day period required by law. This procedural irregularity deprived the Player of a meaningful opportunity to present his position and violated his right to be heard." (Décision, point 99)
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
Extrait principal de la décision : "The requirement for a professional football player to serve formal notice to the club before unilaterally terminating the employment contract—pursuant to Article 11.4 of the FUR RSTP—cannot be regarded as a mere procedural formality. Rather, it constitutes a fundamental legal safeguard designed to uphold the principles of contractual good faith, proportionality, and the right to cure." (Point 76 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- 🔗 Nature substantielle du préavis de résiliation : La mise en demeure préalable, accordant à la partie défaillante un délai pour remédier à son manquement (ici, article 11.4 du RSTP de la FUR), n'est pas une simple formalité mais une condition de fond pour la validité d'une résiliation pour juste cause. Son non-respect rend la résiliation infondée, même en présence de manquements substantiels.
- ⚖️ Principe de l'ultima ratio : La résiliation unilatérale d'un contrat de travail sportif doit toujours être envisagée comme une mesure de dernier recours. Le mécanisme de mise en demeure préalable est une incarnation de ce principe, favorisant la stabilité contractuelle.
- 👨⚖️ Distinction entre manquement et procédure : Une juridiction sportive doit distinguer l'existence d'un manquement matériel de la part d'une partie et le respect par l'autre partie de la procédure requise pour s'en prévaloir. Un manquement avéré ne dispense pas la partie qui s'en plaint de suivre la procédure de résiliation prévue par la réglementation applicable.
- 📋 Droit d'être entendu : Avant d'imposer une sanction disciplinaire (y compris une retenue sur un bonus), l'employeur doit respecter scrupuleusement le droit du salarié à présenter ses explications dans le délai légal (ici, article 193 du Code du travail russe). Le non-respect de cette garantie procédurale entraîne la nullité de la sanction.
Mots clés
résiliation unilatérale, juste cause, stabilité contractuelle, mise en demeure préalable, droit de remédier, ultima ratio, manquement substantiel, sanction disciplinaire, droit d'être entendu, charge de la preuve.
NB : 🤖 résumé généré par IA