2024/A/10443
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Résumé
En bref
Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) admet partiellement l'appel de Paul Pogba. Se fondant sur les articles 11.2.3 et 11.6.2 du Code sportif antidopage (CSA), la Formation arbitrale juge que la violation des règles antidopage n'était pas intentionnelle, l'athlète ayant établi de manière crédible sa confusion entre la DHEA (substance interdite) et la DHA (substance autorisée) ainsi que sa confiance dans les assurances d'un tiers fournisseur. Cette requalification ramène la sanction de base de quatre à deux ans. La Formation retient ensuite une absence de faute ou négligence significative, mais qualifie le degré de faute de l'athlète de « normal » en raison d'un manquement à son devoir de vigilance (ne pas avoir lu l'étiquette du produit). En conséquence, la sanction est fixée à 18 mois de suspension, et la sanction pécuniaire est annulée.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties impliquées : M. Paul Pogba (l'« Athlète » ou l'« Appelant ») contre l'Organisation nationale antidopage italienne (« NADO Italia » ou l'« Intimée »).
- Problèmes juridiques principaux : Détermination du caractère intentionnel ou non d'une violation des règles antidopage (VRAD) ; évaluation du degré de faute de l'athlète ; et fixation de la sanction applicable.
- Question juridique principale : Un athlète, ayant commis une VRAD par la présence d'une substance non spécifiée, peut-il établir que cette violation n'était pas intentionnelle et qu'il n'a commis aucune faute ou négligence significative, afin d'obtenir une réduction de la sanction standard de quatre ans ?
- Exposé du litige : Suite à un contrôle positif aux métabolites de testostérone d'origine non endogène le 20 août 2023, l'Athlète a admis la VRAD. Le Tribunal national antidopage italien l'a sanctionné d'une suspension de quatre ans. L'Athlète a interjeté appel devant le TAS, soutenant que la violation n'était pas intentionnelle. Il invoque ❌ une confusion entre la DHEA (substance ingérée) et la DHA (un complément autorisé qu'il avait l'habitude de prendre), sa confiance dans les assurances d'un prestataire américain, ainsi que son état psychologique altérant son jugement. NADO Italia a maintenu ✅ le caractère intentionnel de la violation, arguant d'une ingestion délibérée pour pallier un faible taux de testostérone et a conclu au maintien de la sanction de quatre ans, ou subsidiairement de deux ans en cas de faute la plus élevée.
2. ANALYSE DES MOTIFS
La Formation arbitrale a structuré son raisonnement en deux temps : d'abord, l'analyse du caractère intentionnel de la violation pour déterminer la sanction de base, puis l'évaluation du degré de faute de l'athlète pour une éventuelle réduction de cette sanction.
A. Sur le caractère non intentionnel de la violation
La Formation a d'abord examiné si l'Athlète parvenait à renverser la présomption de commission intentionnelle de la VRAD. Sur le fondement de l'article 11.2.3 du CSA, qui définit l'intention, la Formation a évalué l'état de connaissance réel de l'Athlète. Elle a distingué l'intention directe de l'intention indirecte (dolus eventualis). 🔍 La Formation a écarté l'intention directe, relevant que la DHEA n'offre aucun effet d'amélioration de la performance pour un athlète masculin, ce qui rend un usage délibéré à des fins de dopage peu plausible. Concernant l'intention indirecte, qui suppose la connaissance d'un risque significatif et son mépris manifeste, la Formation a jugé crédible la thèse de la confusion entre DHEA et DHA. Plusieurs éléments ont conforté cette analyse : la consommation antérieure et sans risque de DHA par l'athlète, les assurances trompeuses fournies par le prestataire tiers, et l'état psychologique de l'Athlète, médicalement attesté, ayant altéré ses capacités de discernement.
"Contrary to what Respondent alleged, the Panel finds that the Appellant’s testimony that he confused DHEA and DHA is credible. He had been taking DHA for quite some time, he had been assured by […] that they would only give him substances that were not on the Prohibited List and that were consistent with his anti-doping obligations of which they purported to be experts, and “DHEA” and “DHA” are confusingly similar enough (particularly given his impaired judgment caused by his uncontroverted, diagnosed psychological condition)." (Décision, paragraphe 134)
➡️ Il résulte de ce qui précède que la Formation a conclu que l'Athlète n'avait pas consciemment accepté le risque de commettre une VRAD. La présomption d'intention étant écartée, la sanction de base applicable a été réduite de quatre à deux ans, ouvrant la voie à un examen des motifs de réduction liés à la faute.
B. Sur la réduction de la sanction pour absence de faute ou négligence significative
Une fois la sanction de base fixée à deux ans, la Formation a analysé la possibilité d'une réduction supplémentaire sur le fondement de l'article 11.6.2 du CSA, qui vise l'absence de faute ou négligence significative (AFNS). L'application de cet article est subordonnée à deux conditions cumulatives que l'athlète doit prouver selon la balance des probabilités. 1️⃣ Établissement de la source de la substance : Ce critère a été jugé rempli, l'Intimée ayant admis lors de l'audience que la DHEA provenait bien du complément fourni par le prestataire américain. 2️⃣ Caractère non significatif de la faute ou négligence : 👨⚖️ Pour évaluer le degré de faute, la Formation a procédé à une mise en balance des circonstances de l'espèce. ⚖️ La Formation a identifié plusieurs facteurs objectifs et subjectifs :
- ❌ Facteurs aggravants la faute :
- Le fait que M. Pogba n'ait pas vérifié l'étiquette du produit, dont l'une portait un avertissement explicite, qualifié de "hautement négligent".
- L'absence de recherche sur internet concernant les produits utilisés.
- Son statut d'athlète de haut niveau, supposant une connaissance de ses obligations antidopage.
- ✅ Facteurs atténuant la faute :
- La bonne foi apparente de l'Athlète.
- Sa confiance dans un prestataire se présentant comme un professionnel expert en matière d'antidopage.
- Son état psychologique attesté par un expert, ayant altéré son jugement.
- La confusion crédible entre DHEA et DHA.
- La faiblesse des effets de la DHEA chez les hommes.
La Formation conclut que l'Athlète a satisfait à son fardeau de la preuve et que sa situation relevait bien de l'AFNS. Toutefois, elle a jugé que les facteurs aggravants, notamment son manquement à l'obligation de vigilance la plus élémentaire, empêchaient de qualifier sa faute de "légère" (light degree of fault).
"The Panel finds that the exacerbating factors outweigh the mitigating factors and concludes that the Appellant’s fault does not fall into the category of a light degree of fault." (Décision, paragraphe 155)
➡️ En conséquence, la Formation a qualifié le degré de faute de l'Athlète de « niveau normal » (normal level). Cette appréciation l'a conduite à fixer une sanction de 18 mois, soit une durée intermédiaire dans la fourchette de 12 à 24 mois permise par l'article 11.6.2 du CSA.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"The Panel concludes that the Appellant’s degree of fault should be at the “normal level” leading to a sanction of 18 months." (Point 156 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Qualification de la violation non intentionnelle : La crédibilité de l'explication d'un athlète (ex: confusion entre substances) est renforcée par des facteurs objectifs, tels que l'absence d'effet ergogénique de la substance pour l'athlète concerné et sa confiance dans un tiers se présentant comme expert, surtout lorsque ces éléments sont corroborés par un état psychologique altérant son jugement, attesté médicalement.
- 🔗 Conditions de l'Absence de Faute ou Négligence Significative (AFNS) : Pour bénéficier d'une réduction au titre de l'article 11.6.2 du CSA, l'athlète doit impérativement satisfaire à un double fardeau de la preuve : 1️⃣ établir la source de la substance et 2️⃣ démontrer que sa faute ou négligence n'était pas "significative" au regard des circonstances globales.
- ⚖️ Appréciation du degré de faute : Même en cas d'AFNS reconnue, la sanction finale est le fruit d'une appréciation souveraine et d'une mise en balance concrète des facteurs aggravants et atténuants. Le manquement d'un athlète d'élite à ses devoirs de vigilance les plus fondamentaux (comme lire une étiquette d'avertissement) peut constituer une faute de degré "normal", justifiant une sanction supérieure au plancher légal, et ce, même en présence de circonstances atténuantes substantielles.
- 👨⚖️ Pouvoir d'appréciation de l'arbitre : La Formation arbitrale dispose d'un large pouvoir pour évaluer la crédibilité des preuves et des témoignages afin de déterminer, dans un premier temps, le caractère intentionnel de la violation, puis, dans un second temps, le degré de faute précis pour individualiser la sanction.
Mots clés
Dopage, Violation non intentionnelle, Absence de faute ou négligence significative, Article 11.2.3 CSA, Article 11.6.2 CSA, Degré de faute, Réduction de sanction, Dehydroepiandrosterone (DHEA), Fardeau de la preuve, Appréciation souveraine
NB : 🤖 résumé généré par IA