23/02516
Résumé
En bref
Le Tribunal judiciaire d’Avignon (jugement du 18 novembre 2024, RG 23/02516) a reconnu la responsabilité civile professionnelle d’un avocat sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, pour n’avoir pas respecté l’article 14 bis du RSTJ FIFA lors de la rupture unilatérale du contrat de travail d’un joueur de football professionnel. L’irrégularité procédurale a privé le joueur d’une possibilité effective de rompre pour juste cause et de percevoir les rémunérations dues. Le tribunal condamne in solidu m l’avocat et son assureur à payer 656 774,19 € à titre de perte de revenus, 12 000 € au titre du remboursement d’honoraires, 3 000 € pour préjudice moral, 3 500 € selon l’article 700 du CPC, avec exécution provisoire limitée à 200 000 €.
En détail
Les parties impliquées sont Monsieur [V] [W], ancien joueur professionnel, demandeur, et Maître [U] [J], avocat, ainsi que la société [14], son assureur responsabilité civile, défendeurs. Le litige porte sur l’engagement de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat à la suite d’une rupture du contrat de travail du joueur avec son club turc, consécutive à une procédure menée en violation des prescriptions du règlement FIFA.
Problèmes juridiques principaux
La question centrale porte sur la faute de l’avocat dans l’exécution de son mandat, spécifiquement le non-respect du délai de 15 jours institué par l’article 14 bis du RSTJ FIFA pour la mise en demeure du club avant toute rupture du contrat de travail pour salaires impayés, et sur le lien de causalité de cette faute avec le préjudice subi par le joueur.
Faits et argumentation
Le joueur avait mandaté l’avocat pour le recouvrement de salaires impayés auprès du club turc. La mise en demeure adressée par l’avocat ne respectait pas le délai réglementaire de 15 jours (seulement 9 jours ont été accordés). Avant l’expiration du délai, l’avocat a notifié la rupture du contrat. Par la suite, le club a procédé à un paiement partiel des arriérés. Le joueur argue que l’avocat a commis une faute qui l’a privé d’une indemnisation complète, tandis que l’avocat conteste tout manquement et invoque l’incertitude des diligences à venir, notamment la capacité du club à payer et la volonté du joueur de poursuivre le contrat.
Raisonnement du tribunal
Sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, le tribunal rappelle que la responsabilité civile contractuelle impose la réunion d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Il se réfère également à l’article 1194 du Code civil, à l’article 3 et à l’article 9 du décret n° 2005-790 sur la déontologie de l’avocat : celui-ci doit faire preuve de compétence, prudence et diligence et garantir la validité de ses actes. Le tribunal constate, après analyse des pièces, que l’avocat a fait référence à l’article 12 bis du règlement FIFA, inapplicable en l’espèce, et a omis de respecter les exigences spécifiques de l’article 14 bis du RSTJ FIFA, qui imposaient d’accorder un délai minimal de 15 jours au club pour régulariser la situation financière avant de rompre le contrat. L’avocat a donc « manqué à ses obligations de compétence, de prudence et de diligence. » Sur le préjudice, sur le fondement des articles 1231-1 et 1231-4 du Code civil, le tribunal distingue le préjudice certain résultant directement de la rupture fautive, estimé à 656 774,19 €, sur la base des rémunérations restant dues jusqu’au terme du contrat (hors arriérés antérieurs à la faute). Il écarte les arguments relatifs à la perte de chance et retient ici un préjudice certain, l’issue du contrat n’étant pas aléatoire. Quant au préjudice moral, il est reconnu à hauteur de 3 000 €, l’absence de lien direct entre la situation actuelle du joueur et la faute de l’avocat étant relevée. Enfin, le remboursement intégral des honoraires (12 000 €) est accordé.
Extrait de la décision
« Il ne peut qu’être constaté que Maître [U] [J] n’a pas respecté l’article 14bis du RSTJ pour procéder à la rupture du contrat de joueur professionnel (...). Le non-respect du délai a eu pour conséquence de priver Monsieur [V] [W] du choix de la décision de rompre ou non à l’expiration du délai de 15 jours. »
Points de droit importants :
- Précision sur la responsabilité contractuelle de l’avocat en droit du sport en cas de non-respect des procédures internationalement fixées par la FIFA (spécificité de l’article 14 bis du RSTJ FIFA par rapport à d’autres dispositions de droit sportif ou au droit commun).
- Primauté du préjudice certain sur la perte de chance lorsque le bénéfice du contrat apparaissait acquis en l’absence de la faute (ici rupture précipitée empêchant le plein exercice des droits du joueur).
- Obligation pour l’avocat de se conformer non seulement au droit national mais aussi aux réglementations spécifiques applicables, ici la réglementation FIFA.
La décision illustre l’importance d’une parfaite maîtrise des règlements sportifs spécifiques et d’une rigueur accrue dans la gestion des procédures s’y rapportant, le manquement procédural ayant des conséquences pécuniaires particulièrement lourdes.
Mots clés
Responsabilité civile professionnelle, avocat, joueur professionnel, article 14 bis RSTJ FIFA, rupture du contrat de travail, déontologie de l’avocat, compétence et diligence, préjudice certain, défaillance procédurale, jurisprudence droit du sport.