22/00850
Résumé
En bref
Le Tribunal judiciaire de Metz ordonne une expertise judiciaire en écriture pour vérifier l'authenticité de la signature d'un footballeur sur un contrat d'agent sportif du 20 septembre 2020. Sur le fondement des articles 1372, 1373 du Code civil et 287 du Code de procédure civile, le tribunal considère que les éléments produits (messages WhatsApp, expertise amiable non contradictoire) ne constituent pas des éléments de conviction suffisants pour se dispenser de la vérification d'écriture. Le tribunal sursoit à statuer sur l'action en responsabilité contractuelle réclamant une indemnité de rupture de 10% des salaires du joueur.
En détail
Les parties impliquées
Demandeurs : Monsieur [N] [Y], agent sportif licencié de la Fédération Française de Football, et la SARL FOOT MANAGEMENT ET CONSULTING, société dont il est le représentant légal.
Défendeur : Monsieur [P] [A] [D], footballeur professionnel né en 2002, ayant signé avec le club anglais Tottenham Hotspur.
Les problèmes juridiques en jeu
La décision porte sur plusieurs questions juridiques fondamentales :
- L'authenticité d'un acte sous signature privée et les conditions de la vérification d'écriture
- La validité d'un contrat d'agent sportif et les obligations d'exclusivité qui en découlent
- La responsabilité contractuelle en cas de violation de l'exclusivité
- La valeur probante des expertises amiables versus les expertises judiciaires
La question juridique principale
La question centrale du litige consiste à déterminer si Monsieur [P] [A] [D] a effectivement signé le "contrat de management - mandat d'intérêt commun" du 20 septembre 2020, condition sine qua non pour établir sa responsabilité contractuelle et l'existence d'une obligation d'exclusivité violée.
L'exposé du litige et les faits
Monsieur [Y] a conclu un premier contrat d'agent sportif avec le footballeur [D], alors mineur, le 8 février 2020. Après la majorité du joueur le 14 septembre 2020, un nouveau "contrat de management - mandat d'intérêt commun" fut conclu le 20 septembre 2020, d'une durée de deux ans avec exclusivité de représentation mondiale.
Le 27 août 2021, Monsieur [D] s'est engagé avec le club anglais Tottenham Hotspur sans informer ni obtenir l'accord de son supposé agent. Les demandeurs y voient une violation délibérée de l'obligation d'exclusivité et réclament l'indemnité de rupture prévue à l'article 3.3 du contrat, équivalent à 10% des salaires bruts perçus par le joueur sur toute la durée de son contrat avec Tottenham.
Les arguments des parties
Les demandeurs soutiennent que le joueur a sciemment violé son obligation contractuelle d'exclusivité en concluant un contrat professionnel sans les informer. Ils produisent des échanges WhatsApp, un rapport d'expertise graphologique amiable, et diverses pièces pour prouver l'existence de relations contractuelles. Ils réclament l'indemnité de rupture, des dommages-intérêts pour résistance abusive, et une amende civile.
Le défendeur dénie formellement avoir signé le contrat du 20 septembre 2020. Il sollicite une vérification d'écriture selon les articles 287 et suivants du Code de procédure civile. À titre subsidiaire, il conteste la validité du contrat (incapacité de la personne morale à contracter) et demande la modération de la clause pénale à 1€.
Les motifs de la décision
Sur la demande de vérification d'écriture
Sur le fondement de l'article 1372 du Code civil, le tribunal rappelle qu'un acte sous signature privée fait foi s'il est reconnu par la partie à laquelle on l'oppose. L'article 1373 dispose que la partie peut désavouer son écriture, auquel cas il y a lieu à vérification.
Le tribunal examine si les éléments produits constituent des "éléments de conviction suffisants" permettant de se dispenser de la vérification d'écriture selon l'article 287 alinéa 1 du Code de procédure civile.
Les demandeurs produisent notamment un message WhatsApp du 23 août 2021 où Monsieur [Y] informe le joueur des négociations avec Tottenham, auquel ce dernier répond simplement "Merci". Le tribunal considère que cette réponse "apparaît trop sibylline et partant insuffisante" pour établir la reconnaissance de la signature. La réponse laconique ne saurait constituer "la manifestation non équivoque par M. [D] de sa qualité de signataire du mandat".
Le tribunal relève que le joueur avait signé d'autres contrats d'agent avec Monsieur [J] les 3 juin et 14 septembre 2020, créant une "certaine confusion au sujet de son véritable partenaire". Cette situation explique le comportement du joueur qui s'est engagé avec Tottenham "sans même informer M. [Y]".
Sur l'expertise amiable produite
Sur le fondement de l'article 16 du Code de procédure civile, le tribunal rappelle qu'il "ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties". Le rapport de Madame [F], graphologue, bien que versé aux débats, "n'étant pas corroboré par d'autres éléments de preuve", ne peut suffire à établir l'authenticité de la signature.
Le tribunal souligne que le droit à la preuve résultant de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme implique que les parties doivent pouvoir participer utilement au débat dans le cadre d'une expertise, ce qui n'était pas le cas pour cette expertise amiable non contradictoire.
Sur la nécessité de l'original pour la vérification
Le tribunal rappelle le principe jurisprudentiel constant selon lequel "la vérification d'écriture doit être faite au vu de l'original de l'écrit dont l'écriture est contestée" (Cour de cassation, Première chambre civile, 10 mai 1988, 20 mai 2003, 27 juin 2018). Les demandeurs n'ayant pas communiqué l'original malgré les moyens présentés par le défendeur, "le tribunal ne saurait se prononcer au regard de la simple copie du contrat".
La mesure d'expertise ordonnée
Sur le fondement de l'article 146 du Code de procédure civile, le tribunal ordonne une expertise judiciaire en écriture dont l'objet est la vérification de la signature figurant sur le contrat du 20 septembre 2020. La mission de l'expert comprend l'examen de l'original (que les demandeurs devront remettre), la comparaison avec des pièces de comparaison admises par le défendeur, et la détermination de l'authenticité de la signature.
Le tribunal exclut expressément le contrat du 8 février 2020 des pièces de comparaison, le défendeur contestant également cette signature. La charge de la preuve incombant aux demandeurs, l'avance des frais d'expertise (2000€) est mise à leur charge solidaire.
Extrait de la décision :
"Le tribunal ne saurait donc écarter le document litigieux au seul motif que la signature en est déniée... La vérification d'écriture s'impose par conséquent au tribunal dès lors que l'issue du litige ne peut être déterminée sans trancher la contestation portant sur l'écrit contesté."
Points de droit importants et répercussions
Cette décision illustre plusieurs principes fondamentaux du droit de la preuve :
- L'autonomie procédurale de la vérification d'écriture : Le tribunal ne peut se dispenser de cette procédure sans éléments de conviction suffisants, même face à une expertise amiable apparemment concluante.
- L'exigence de l'original : La vérification d'écriture judiciaire nécessite impérativement l'original de l'acte contesté, contrairement aux éléments de comparaison.
- Les limites de l'expertise amiable : Même contradictoire, une expertise privée ne peut constituer l'unique fondement d'une décision, particulièrement en l'absence de corroboration.
- La protection du contradictoire : L'application de l'article 6 § 1 CEDH impose le respect du contradictoire dans les expertises, justifiant la préférence pour l'expertise judiciaire.
Mots clés
Vérification d'écriture, acte sous signature privée, expertise judiciaire, agent sportif, obligation d'exclusivité, contrat de management, responsabilité contractuelle, éléments de conviction suffisants, expertise amiable, droit de la preuve
NB : 🤖 résumé généré par IA