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Résumé
En bref
Sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a statué sur la demande d'indemnisation d'un joueur de futsal ayant subi une détention provisoire injustifiée de 485 jours, suivie d'une relaxe. La juridiction consacre le principe de l'indemnisation de la perte de chance de percevoir des primes de match, qualifiée de sérieuse et évaluée à 90 %, tout en rejetant la demande au titre de la perte de chance de carrière sportive faute de justificatifs quantitatifs et du fait de la réintégration immédiate du joueur. Le magistrat alloue une indemnité globale d'environ 53 000 euros, incluant la réparation du préjudice moral aggravé par des conditions de détention indignes mais atténué par le passé pénal du requérant. Décision : Accueil partiel des demandes (réparation du préjudice moral, frais de défense et perte de primes de match). Sens de la décision : ✅ Condamnation de l'État (Agent Judiciaire de l'État).
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties : M. [N] [O] (requérant, joueur de futsal de niveau national) contre l'Agent Judiciaire de l'État (défendeur).
- Problème juridique : Évaluation du préjudice indemnisable suite à une détention provisoire injustifiée, spécifiquement l'incidence de l'incarcération sur la carrière d'un sportif et la distinction entre la perte de carrière globale et la perte de revenus accessoires (primes).
- Question juridique principale : Dans quelle mesure l'incarcération d'un joueur de futsal justifie-t-elle l'indemnisation d'une perte de chance de carrière sportive et de gains liés aux compétitions (primes de match) sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale ?
- Exposé du litige : Mis en examen pour participation à une association de malfaiteurs, M. [O] a été incarcéré pendant 485 jours avant d'être relaxé définitivement. Il sollicite la réparation de son préjudice moral et matériel, arguant notamment que la détention a brisé son ascension sportive et l'a privé de revenus liés aux matchs.
2. ANALYSE DES MOTIFS
Le Premier Président structure sa décision en analysant successivement la recevabilité de la requête, le préjudice moral, et les différents chefs de préjudice matériel.
A. Sur la recevabilité de la requête
Le magistrat écarte l'exception de forclusion soulevée par la défense. Sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale et de l'article R.26 du même code, il rappelle que le délai de forclusion de six mois est conditionné par l'information effective du justiciable. Le juge constate 🔎 que le jugement de relaxe ne comportait pas la mention obligatoire des droits à indemnisation, neutralisant ainsi le départ du délai :
"Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. [...] le jugement ne mentionne pas le droit pour le requérant de solliciter l'indemnisation de sa détention provisoire injustifiée [...]. C'est ainsi que le délai n'a jamais commencé à courir." (Décision, page 3)
Cette analyse confirme la 🛡️ protection procédurale du requérant : l'absence de notification des droits dans la décision au fond rend la requête en indemnisation recevable, nonobstant son dépôt tardif apparent.
B. Sur l'évaluation du préjudice moral
Le juge procède à une appréciation ⚖️ in concreto du préjudice moral. Il retient d'une part les facteurs aggravants liés aux conditions de détention (surpopulation, insalubrité) prouvés par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), et d'autre part, il applique un tempérament lié aux antécédents du requérant. Le raisonnement s'articule autour de la notion de "choc carcéral" :
"Les conditions de détentions difficiles sont étayées par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté [...] qui fait état d'une surpopulation carcérale importante, des installations sportives peu utilisées, des cours de promenade dans un état indigne et une surenchère sécuritaire. [...] Ces conditions constituent donc un facteur d'aggravation du préjudice moral [...]. Par ailleurs, le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire porte trace d'une condamnation pénale en 2016 [...]. C'est ainsi que son choc carcéral a été atténué." (Décision, page 5)
➡️ La juridiction fixe ainsi une indemnisation de 35 000 euros, résultant d'une balance entre la sévérité objective de la détention et la moindre vulnérabilité supposée d'un individu déjà confronté au milieu carcéral.
C. Sur le préjudice matériel : La distinction carrière sportive / primes de match
C'est le cœur de l'intérêt pour le droit du sport. Le juge opère une distinction nette entre la perte de chance de carrière (rejetée) et la perte de gains liés aux matchs (accueillie). Concernant la perte de chance de poursuivre une carrière sportive, le juge relève 🔎 que le requérant a été immédiatement réintégré dans son club et en équipe nationale après sa libération. Bien que qualifiant la perte de chance de "sérieuse" (dans une formulation paradoxale qui semble souligner l'existence du risque), il rejette la demande ❌ faute de preuve du quantum du préjudice :
"M. [O] atteste qu'il évoluait [...] en 1ère division du championnat de France. Il n'a pas joué durant son incarcération et a été repris dans le club dès sa libération et a intégré l'équipe d'Algérie de Futsal. [...] le requérant ne justifie pas du montant de la perte de chance alléguée. Aussi, en l'absence de justification de ce montant, la demande d'indemnisation sera rejetée." (Décision, page 6)
En revanche, s'agissant des primes de match, le magistrat accueille ✅ la demande. Se fondant sur une attestation du président du club, il reconnait la perte d'une chance quasi-certaine de percevoir ces revenus variables, inhérents à la pratique compétitive :
"M. [O] a perdu une chance sérieuse de percevoir des primes de match et cette perte de chance eut être évaluée à 90%. Sur cette base, la perte de revenus du requérant a été de 613 euros par mois X 14 mois = 7 723,80 euros." (Décision, page 7)
➡️ Cette motivation consacre l'indemnisation des revenus sportifs accessoires (primes) dès lors qu'ils présentent un caractère de régularité et de sérieux, indépendamment du statut professionnel ou amateur formalisé, reconnaissant ainsi la réalité économique du sportif de haut niveau hors contrat de travail classique.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"Le requérant a versé aux débats une attestation de M. [S], président du club de futsal qui indique que les primes reçues par le requérant se sont élevées à 613 euros par mois entre avril 2017 et novembre 2018. C'est ainsi que M. [O] a perdu une chance sérieuse de percevoir des primes de match et cette perte de chance peut être évaluée à 90%." (Décision, page 7)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Recevabilité et information : Le délai de forclusion de l'article 149 du CPP ne court pas si la décision de relaxe omet de mentionner les droits du justiciable à réparation.
- 🔗 Perte de chance sportive (Primes) : Les primes de match constituent un élément de préjudice matériel indemnisable au titre de la perte de chance, distinct de la perte de salaire, dès lors que leur versement antérieur présente une régularité attestée par le club.
- ⚠️ Preuve du préjudice de carrière : La simple interruption de la pratique sportive, suivie d'une réintégration au même niveau (club et sélection nationale), ne suffit pas à caractériser une perte de chance de carrière indemnisable en l'absence d'éléments chiffrés démontrant un manque à gagner structurel.
- ⚖️ Évaluation du préjudice moral : Le "choc carcéral" est une notion à géométrie variable : atténué par les antécédents judiciaires, mais aggravé par des conditions de détention indignes prouvées par des rapports officiels (CGLPL).
Mots clés
Détention provisoire injustifiée, Article 149 CPP, Perte de chance, Primes de match, Futsal, Sportif de haut niveau, Préjudice matériel, Choc carcéral, CGLPL, Conditions de détention.
NB : 🤖 résumé généré par IA