22/01967
Résumé
En bref
La Cour d'appel de Riom a rendu un arrêt infirmatif partiel portant sur le statut juridique de l'entraîneur professionnel. La juridiction retient que l'embauche d'un entraîneur professionnel sous contrat à durée indéterminée (CDI) constitue une violation de l'article L. 222-2-3 du Code du sport, disposition d'ordre public imposant le recours au CDD spécifique. Par conséquent, le salarié est fondé à se prévaloir de la protection offerte par ce statut pour contester la rupture de son contrat pour simple "faute réelle et sérieuse", motif inopérant en matière de CDD, et obtenir les dommages-intérêts afférents à une rupture anticipée abusive.
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
Parties : Monsieur [J] [H] (appelant, salarié) contre l'Association (intimée, club de handball).
Problématique : Un club amateur peut-il s'exonérer de l'application du statut d'entraîneur professionnel et du CDD spécifique imposé par la loi du 27 novembre 2015 en embauchant un technicien sous CDI de droit commun, et ce dernier peut-il revendiquer le bénéfice du régime du CDD pour contester sa rupture ?
Question juridique principale : L'embauche d'un entraîneur professionnel sous la forme d'un CDI, en violation des dispositions impératives du Code du sport, prive-t-elle le salarié de la possibilité d'invoquer les règles protectrices du CDD spécifique, notamment en matière de rupture anticipée ?
Exposé du litige : Le salarié a été engagé par le club en qualité de "Responsable technique club" via un CDI. Quelques mois plus tard, il est licencié pour faute réelle et sérieuse. Le salarié conteste cette rupture, revendique le statut d'entraîneur professionnel et demande l'application du régime du CDD sportif pour obtenir le paiement des salaires jusqu'à la fin de la saison, ainsi que le paiement d'heures supplémentaires.
2. ANALYSE DES MOTIFS
L'arrêt structure son raisonnement en trois temps forts : la qualification juridique du poste occupé, l'imposition du régime du CDD spécifique et les conséquences financières de la rupture et de l'exécution du contrat.
A. Sur la qualification d'entraîneur professionnel et la classification
La Cour procède d'abord à une analyse factuelle rigoureuse pour déterminer si le salarié relevait du statut légal d'entraîneur professionnel défini à l'article L. 222-2 du Code du sport. L'employeur contestait cette qualification en arguant que le salarié ne possédait pas le diplôme requis (DEJEPS) et ne consacrait pas plus de 50% de son temps à l'entraînement. Les juges écartent cette argumentation en se fondant sur la réalité des fonctions exercées et la validité du diplôme détenu (BPJEPS) pour l'activité concernée. Ils relèvent, via un faisceau d'indices (attestations, feuilles de match, fiche de poste), que le salarié encadrait à titre principal des joueurs rémunérés.
"Les éléments d'appréciation susvisés établissent que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à l'association , Monsieur [J] [H] avait pour activité principale rémunérée de préparer et d'encadrer l'activité sportive d'un ou de plusieurs sportifs professionnels salariés, et Monsieur [J] [H] était alors titulaire d'un diplôme lui permettant d'exercer l'activité d'entraîneur professionnel salarié." (Décision, page 23)
Cette qualification factuelle entraîne l'application immédiate de la classification conventionnelle adéquate. La Cour confirme que l'autonomie et les responsabilités du salarié, chargé de l'équipe fanion en Nationale 1, correspondent à la définition de l'Agent de maîtrise classe C prévue par la Convention Collective Nationale du Sport (CCNS), rejetant ainsi la qualification inférieure de "Technicien groupe 3" retenue par l'employeur.
B. Sur la requalification de la relation de travail et le CDD spécifique
C'est le point central de l'arrêt. La juridiction rappelle que depuis la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, le législateur a instauré une obligation d'ordre public de recourir au CDD spécifique pour les entraîneurs professionnels. Sur le fondement de l'article L. 222-2-3 du Code du sport, la Cour juge que le CDI conclu par les parties est illégal. Elle opère un raisonnement intéressant : alors que la sanction classique est la requalification en CDI, ici, c'est le salarié qui a intérêt à invoquer l'existence d'un CDD pour bénéficier des indemnités de rupture plus favorables. La Cour valide cette approche, considérant que l'employeur ne peut tirer profit de sa violation de la loi.
"Une fois entré dans le champ d'application de l'article L. 222-2 du code du sport, l'employeur a donc l'obligation de recourir à un contrat de travail à durée déterminée de type 'sportif' pour recruter, moyennant rémunération, un sportif professionnel ou un entraîneur professionnel. [...] L'association a donc violé les dispositions de la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 [...] en embauchant Monsieur [J] [H] en qualité d'entraîneur professionnel salarié dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, et, en conséquence, la cour considère que le salarié est en droit d'invoquer l'existence d'un contrat de travail à durée déterminée 'sportif'" (Décision, page 26)
Ce raisonnement aboutit à une conséquence juridique majeure : la rupture du contrat s'analyse selon les règles du CDD. Or, l'employeur a licencié le salarié pour "faute réelle et sérieuse". La Cour rappelle qu'en matière de CDD, seule la faute grave permet une rupture anticipée. Le motif invoqué étant insuffisant, la rupture est qualifiée d'abusive, ouvrant droit, selon l'article L. 1243-4 du Code du travail, aux dommages-intérêts correspondant aux salaires restant à courir jusqu'au terme de la saison sportive.
"L'association a rompu de façon anticipée le contrat de travail à durée déterminée en notifiant le 20 décembre 2019 à Monsieur [J] [H] un licenciement pour faute sérieuse, sans invoquer ni caractériser un accord des parties, ou une faute grave (ou lourde), ou la force majeure, ou l'inaptitude du salarié [...]. La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée est donc intervenue de façon abusive à l'initiative de l'employeur." (Décision, page 27)
C. Sur les heures supplémentaires
Enfin, concernant la durée du travail, la Cour applique strictement le régime probatoire de l'article L. 3171-4 du Code du travail. Elle constate que le salarié étaye sa demande par un calendrier précis, tandis que l'employeur faillit à son obligation de contrôle de la durée du travail, ne produisant aucun document fiable.
"La cour constate que Monsieur [J] [H] présente, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'association , qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. L'association ne présente aucun document de contrôle objectif des heures ou horaires de travail effectués par le salarié mais se contente de critiquer les prétentions de Monsieur [J] [H]." (Décision, page 31)
Cette carence probatoire de l'employeur conduit à l'accueil intégral des demandes du salarié au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs afférents.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"L'article L. 222-2-3 du code du sport, disposition d'ordre public, a été rédigé en des termes particulièrement impératifs ('tout contrat par lequel une association sportive ou une société s'assure, moyennant rémunération, le concours de l'un de ces salariés est un contrat de travail à durée déterminée'), sans dérogation envisageable, même par voie conventionnelle, en affirmant explicitement une volonté de 'protection des sportifs et entraîneurs professionnels', donc un souci de protections des salariés par la loi, et la nécessité de 'garantir l'équité des compétitions', donc également un but de protection de l'intérêt de la société" (Décision, page 25)
4. POINTS DE DROIT
Caractère impératif du CDD spécifique : Depuis la loi du 27 novembre 2015, l'embauche d'un entraîneur professionnel (au sens de l'art. L. 222-2 du Code du sport) doit obligatoirement se faire sous forme de CDD spécifique (art. L. 222-2-3 Code du sport). Tout CDI conclu en violation de cette règle est irrégulier.
Droit d'option du salarié : Si l'embauche en CDI est illégale, le salarié peut néanmoins revendiquer l'application du statut protecteur du CDD, notamment pour obtenir les indemnités de rupture anticipée (salaires jusqu'au terme de la saison), interdisant à l'employeur de se prévaloir de sa propre turpitude.
Rupture du contrat : La rupture d'un contrat requalifié en CDD sportif ne peut intervenir que pour faute grave, force majeure ou inaptitude. Le motif de "faute réelle et sérieuse" rend la rupture nécessairement abusive.
Preuve des heures supplémentaires : En l'absence de documents de contrôle produits par l'employeur (art. L. 3171-4 Code du travail), les éléments précis fournis par le salarié (calendriers, décomptes) suffisent à fonder une condamnation au rappel de salaire.
Mots clés
Entraîneur professionnel, CDD spécifique, Code du sport, Loi du 27 novembre 2015, Rupture anticipée abusive, Faute grave, Requalification, Ordre public, Heures supplémentaires, Charge de la preuve.
NB : 🤖 résumé généré par IA