24-10.616
Résumé
En bref
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette les pourvois formés contre l'arrêt de la Cour d'appel de Douai. Sur le fondement de l'article 1103 du Code civil (force obligatoire des contrats) et de l'article 1231-5 du Code civil (régime de la clause pénale), la Haute juridiction confirme deux points essentiels :
- Un contrat de travail conclu sous seing privé (le "pré-contrat" ou contrat initial), même non soumis à l'homologation prévue par la Charte du football professionnel, peut conserver sa validité et ses effets juridiques entre les parties, nonobstant la signature ultérieure d'un contrat type homologué.
- La clause prévoyant le versement intégral des salaires restants dus en cas de rupture anticipée s'analyse en une clause pénale, soumise au pouvoir modérateur du juge si son montant est manifestement excessif au regard du préjudice réel.
Dispositif : Rejet des pourvois principal et incident.
Sens de la décision : Confirmation de la condamnation du club (sur le principe), mais maintien de la réduction judiciaire du montant de l'indemnité due à l'entraîneur (2 millions d'euros au lieu de la totalité des salaires).
En détail
1. CADRE DE L'AFFAIRE
- Parties : M. [Z] (l'entraîneur, Marcelo Bielsa) contre la société LOSC Lille (le club).
- Problèmes juridiques :
- L'articulation entre un contrat sous seing privé (signé en février) et le contrat officiel homologué (signé en juillet).
- La qualification juridique de la clause d'indemnité de rupture (indemnité forfaitaire de dédit ou clause pénale) et la possibilité pour le juge de la réduire.
- Question juridique principale : Un contrat d'entraîneur non homologué prévaut-il sur le contrat homologué, et la clause garantissant le paiement des salaires jusqu'au terme du contrat peut-elle être modérée par le juge ?
- Exposé du litige : Le club et l'entraîneur ont signé un premier contrat le 14 février 2017, puis un contrat officiel homologué par la LFP le 1er juillet 2017. L'entraîneur a été licencié pour faute grave le 15 décembre 2017. Il réclame l'application de l'article 15 du contrat de février (plus favorable) lui garantissant l'intégralité de ses salaires en cas de rupture. Le club conteste la validité de ce contrat non homologué.
2. ANALYSE DES MOTIFS
A. Sur la validité du contrat non homologué (Pourvoi incident du LOSC)
Le club (LOSC) contestait l'application du contrat du 14 février 2017, arguant que selon l'article 654 de la Charte du football professionnel (valeur de convention collective) et l'article L. 222-2-6 du Code du sport, tout contrat ou avenant non soumis à homologation est nul ou privé d'effet. ❌ La Cour de cassation écarte cette argumentation en validant le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. 🔍 La Cour valide l'analyse selon laquelle le document du 14 février 2017 constituait un véritable contrat de travail à terme suspensif, dont les effets ont bien débuté au 1er juillet 2017. La Cour relève que ce contrat a reçu un commencement d'exécution (paiement de la rémunération prévue) et que les parties ont entendu le compléter par le contrat homologué pour les clauses compatibles. L'absence d'homologation administrative n'a pas, en l'espèce, anéanti la volonté contractuelle initiale des parties.
"La cour d'appel, qui a retenu [...] que l'acte du 14 février 2017 était un contrat de travail à terme suspensif ayant pris effet le 1er juillet 2017, complété par les clauses non contraires et compatibles du contrat et de son avenant signés le 1er juillet 2017 [...] a légalement justifié sa décision" (Décision, point 8)
➡️ Portée : Cet attendu confirme que l'homologation est une exigence administrative pour la participation aux compétitions (validité sportive) mais ne prive pas nécessairement d'effet civil un contrat antérieur valablement formé entre les parties (validité civile), surtout s'il a reçu un commencement d'exécution.
B. Sur la qualification et la modération de l'indemnité (Pourvoi principal du salarié)
L'entraîneur contestait la qualification de clause pénale retenue par les juges du fond pour l'article 15 du contrat. Il soutenait qu'il s'agissait d'une indemnité forfaitaire de rupture ou d'une clause de dédit, intangible pour le juge. ❌ La Cour de cassation confirme l'analyse de la cour d'appel sur le fondement de l'article 1231-5 du Code civil. ⚖️ Elle retient que la clause litigieuse avait pour objet de contraindre l'employeur à respecter son engagement de durée et de sanctionner l'inexécution de cette obligation. Dès lors que la clause a une fonction comminatoire (sanctionner la méconnaissance d'un engagement), elle répond à la définition légale de la clause pénale.
"La cour d'appel, qui a retenu, par une interprétation souveraine de l'article 15 du contrat du 14 février 2017, que cette clause avait pour objet de sanctionner la méconnaissance par l'employeur de son engagement de garantir l'emploi du salarié jusqu'au terme du contrat, a pu, par une décision motivée, l'analyser en une clause pénale" (Décision, point 11)
➡️ Portée : La qualification de clause pénale est décisive car elle ouvre la voie au pouvoir modérateur du juge. Si la clause avait été qualifiée de simple indemnité de rupture ou de clause de dédit, son montant aurait dû être payé intégralement. Une fois la qualification de clause pénale acquise, la Cour de cassation valide l'usage par les juges du fond de leur pouvoir de modération. 📉 En application de l'article 1231-5 du Code civil, le juge peut réduire la pénalité si elle est manifestement excessive. La Cour relève que les juges d'appel ont concrètement caractérisé cette disproportion en comparant le montant réclamé au préjudice réel subi par l'entraîneur, qui avait retrouvé un emploi rémunérateur peu de temps après.
"Au regard de la disproportion entre la pénalité convenue et le préjudice effectivement subi par l'intéressé dont elle avait constaté qu'engagé quelques mois après la rupture dans un club participant à un championnat prestigieux, il avait perçu des émoluments supérieurs à ceux du contrat rompu, la cour d'appel a réduit la pénalité dans des proportions qu'elle a souverainement évaluées" (Décision, point 12)
➡️ Portée : Ce point valide la méthode du "mitigation of damages" (atténuation du dommage). Le fait pour l'entraîneur de retrouver rapidement un poste mieux rémunéré justifie une réduction drastique de l'indemnité contractuelle (réduite ici à 2 millions d'euros), quand bien même le contrat prévoyait le paiement de tous les salaires restants.
3. EXTRAIT PRINCIPAL DE LA DÉCISION
"La cour d'appel [...] a retenu [...] que l'acte du 14 février 2017 était un contrat de travail à terme suspensif ayant pris effet le 1er juillet 2017, complété par les clauses non contraires et compatibles du contrat et de son avenant signés le 1er juillet 2017, et relevé que l'entraîneur avait reçu en novembre 2017 la rémunération qu'il prévoyait, faisant ainsi ressortir que ce contrat avait reçu un commencement d'exécution" (Point 8 de la décision)
4. POINTS DE DROIT
- 🎯 Autonomie du contrat civil : Un contrat de travail de sportif ou d'entraîneur non homologué (sous seing privé) peut prévaloir et produire des effets entre les parties, indépendamment des exigences réglementaires de la Charte du football professionnel, notamment s'il a reçu un commencement d'exécution.
- 🔗 Qualification de clause pénale : La clause garantissant le paiement de l'intégralité des salaires restants dus en cas de rupture anticipée s'analyse comme une clause pénale dès lors qu'elle vise à sanctionner l'inexécution de l'obligation de durée par l'employeur.
- 👨⚖️ Pouvoir modérateur : Le juge dispose, en vertu de l'article 1231-5 du Code civil, du pouvoir souverain de réduire le montant d'une telle clause s'il est manifestement excessif au regard du préjudice réel subi (notamment en cas de nouvel emploi rapide).
Mots clés
Contrat de travail sportif, Homologation, Charte du Football Professionnel, Clause pénale, Pouvoir modérateur du juge, Article 1231-5 du Code civil, Indemnité de rupture, Faute grave, Concours de contrats, Préjudice.
NB : 🤖 résumé généré par IA